Le débat sur le racisme est reparti de plus belle au Canada. Le Premier ministre Justin Trudeau a refusé d’accorder son soutien direct au Président français, Emmanuel Macron, dont le pays a encore été touché par des attentats islamistes.
Caricatures de Mahomet: Trudeau contre la liberté d’expression?
Le 30 octobre dernier, Trudeau a comparé la publication de caricatures jugées offensantes pour des musulmans au fait de «crier au feu dans un cinéma bondé», ce qui a rapidement soulevé l’indignation de nombreux observateurs étrangers et québécois.
«Nous nous devons d’être conscients de l’impact de nos mots, de nos gestes sur d’autres, particulièrement ces communautés et ces populations qui vivent encore énormément de discriminations», a déclaré Justin Trudeau, avant de tenter de corriger le tir quelques jours plus tard.
Visiblement irrité par la position de son homologue fédéral, le Premier ministre québécois, François Legault, a quant à lui vivement défendu la liberté d’expression, ce qui lui a valu un appel téléphonique d’Emmanuel Macron pour le remercier.
La France et le Québec ayant toujours conservé une relation particulière, le geste a été interprété dans la Belle Province comme un pied de nez à Justin Trudeau et au gouvernement fédéral, parfois vu comme hostile à la volonté du Québec.
«On ne peut pas accuser des personnes qui ont fait des caricatures de justifier de cette façon la violence. Je suis vraiment totalement en désaccord avec M. Trudeau, il faut protéger la liberté d’expression», a déclaré François Legault.
Nouveau clash entre le Québec et le Canada anglais, dont l’expression veut qu’ils représentent «deux solitudes» [individualités] au sein de la même fédération?
Québec et Canada anglais, des approches aux antipodes?
Depuis de nombreuses années, le Canada anglais est considéré comme beaucoup plus favorable à l’expression des particularismes religieux que le Québec, où se fait ressentir une tradition laïque beaucoup plus forte, constate Guillaume Rousseau, professeur de droit à l’Université de Sherbrooke.
En juin 2019, le gouvernement québécois de François Legault marquait l’histoire canadienne en faisant adopter une loi sur la laïcité, après un débat sur la question ayant duré plus de dix ans. La Loi 21 interdit aux juges, policiers, gardiens de prison et enseignants de porter des signes religieux au travail.
«La loi ne peut pas être la seule réponse dans la lutte contre l’intégrisme religieux, mais elle représente certainement une partie d’une réponse plus vaste», souligne en entrevue Maître Rousseau, l’un des architectes de la loi.
Mais dès le lendemain de l’adoption de la loi, Ichrak Nourel Hak, une étudiante en enseignement de confession musulmane, a intenté une action en justice auprès de la Cour supérieure du Québec, contestant une atteinte à sa liberté de religion. Déjà, en octobre 2018, l’étudiante avait annoncé qu’elle n’enlèverait pas son voile et refuserait ainsi de se plier à la loi quand elle serait en vigueur.
Selon Guillaume Rousseau, les arguments invoqués par les plaignants durant le procès ne tiennent pas compte de la spécificité culturelle du Québec:
«De la même manière que d’autres récentes controverses, les arguments avancés dans le procès illustrent des façons de penser plus anglo-américaines et d’autres, qui sont plus propres au Québec, plus proches d’une conception française et républicaine», observe le professeur de droit.
Le Mouvement laïque québécois a obtenu l’autorisation de la Cour supérieure de défendre la loi en faisant valoir le droit des parents et des élèves d’évoluer dans un milieu libre de toute influence religieuse. L’organisation prête donc main-forte au Procureur général, dont le rôle consiste à défendre juridiquement l’État québécois.
En face, le Conseil national des musulmans s’est rangé derrière la plaignante initiale, Ichrak Nourel Hak, pour contester la loi. La commission canadienne des droits de la personne, la branche canadienne d’Amnesty International et l’Alliance de la fonction publique du Canada, un important syndicat, se sont également jointes à la poursuite jugeant la loi discriminatoire, voire raciste.
La laïcité, future cause de suicide chez les musulmans québécois?
Vice-doyen aux études de la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke, Guillaume Rousseau estime plutôt que la loi protège la liberté de conscience des Québécois:
«Un exemple que nous avons donné pour défendre notre point de vue est celui d’une jeune fille qui avait été forcée de se voiler par son père et son fiancé à Victoriaville. Il a été écrit textuellement dans le jugement de la Cour qu’elle était sous le contrôle de sa famille. Le seul endroit qui lui permettait de se libérer de cette emprise était l’école», relate l’ex-conseiller du gouvernement Legault sur la laïcité.
Interrogé à l’occasion du procès, le professeur Thomas Dee, de la faculté d’éducation de l’Université Stanford, en Californie, considère que l’interdiction des signes religieux pourrait favoriser l’apparition de problèmes de santé mentale chez les croyants. Le professeur d’éducation craint surtout pour la santé mentale des femmes musulmanes contraintes de retirer leur voile pour exercer leur travail.
Mais encore une fois, selon Guillaume Rousseau, les arguments des experts interrogés s’appliquent difficilement à la réalité québécoise:
«Certains experts font des parallèles avec des situations aux États-Unis, par exemple qui concernent les Noirs. On se demande parfois quel est le lien avec la loi sur la laïcité ? […] Ils mêlent la religion, la couleur de peau et la culture en véhiculant une sorte de vision racialiste. Des experts utilisent une grille de lecture américaine sans rapport avec le Québec. On fait un copier-coller», conclut Guillaume Rousseau.