Après la bataille électorale, la bataille judiciaire? Ce scénario, Donald Trump et Joe Biden le savaient probable, et même certain depuis quelque temps. Les deux rivaux se sont préparés en conséquence. Depuis plusieurs mois, leurs équipes de campagne ont vu débarquer des centaines de juristes pour grossir leurs rangs en vue de l’affrontement judiciaire à venir.
Recompte des votes dans certains Etats
Donald Trump a déjà tiré la première salve de cette bataille juridique au lendemain de la nuit électorale du 3 novembre. Le candidat à sa propre succession a estimé, sans pour l’heure fournir de preuves concrètes, que le scrutin avait fait l’objet de fraude. «Nous allons saisir la Cour suprême et nous assurer qu’il n’y ait pas, soudainement, de nouveaux bulletins qui apparaîtraient à 4h du matin et qui seraient ajoutés au total», a-t-il expliqué lors de son allocution.
En l’état actuel des choses, la bataille juridique serait d’ailleurs le seul chemin vers la victoire pour Donald Trump. Avec 214 votes au collège électoral contre 264 pour son rival, il lui faudrait trois victoires –dans les États de Pennsylvanie, de Géorgie et de Caroline du Nord– pour rester dans le Bureau ovale. Or, Joe Biden le devance, à l’heure où ces lignes sont écrites, en Géorgie et en Pennsylvanie.
Quelles options juridiques s’offrent donc à Donald Trump, mais aussi à Joe Biden, en cas défaite surprise?
Au niveau fédéral d’abord. Aux États-Unis, chaque État détermine ses propres règles relatives au déroulement du vote et dispose de l’autorité judiciaire pour valider une requête de recomptage des voix et un réexamen des bulletins déjà pris en compte. Les deux camps peuvent miser sur cette stratégie, et c’est d’ailleurs ce que les Républicains souhaitent demander dans le Wisconsin, là où Joe Biden a gagné avec moins de 1% d’écart, alors que plus de 99% des votes ont déjà été comptabilisés. Si les accusations de fraude émises par le Président sortant étaient avérées dans plusieurs États, cela pourrait faire pencher la balance en faveur de Donald Trump.
Dans les États clés de Pennsylvanie, du Michigan et de Géorgie, le camp Trump a également déposé un recours auprès des juridictions locales pour obtenir la suspension du dépouillement. Le GOP (Grand Old Party, les Républicains) soulève des accusations d’exclusion d’observateurs des salles de comptage, des votes de non-résidents et même la prise en compte de voix d’électeurs susceptibles d’être décédés. Pour l'heure, les recours n’ont pas encore été tranchés.
La juge de la Cour suprême, Amy Coney Barrett, clé de voûte de l’élection?
La Cour suprême fédérale pourrait également être mise à contribution et jouer le rôle d’arbitre ultime. Déjà en septembre dernier, les Républicains avaient formulé un recours devant la cour suprême de Pennsylvanie pour que les votes par correspondance arrivant en retard ne soient pas comptabilisés. La juridiction avait cependant décidé de les accepter en raison de la pandémie et des retards fréquents du service de poste. Le parti républicain avait alors, en urgence, demandé à la Cour suprême fédérale de geler cette décision mais celle-ci avait rejeté la requête à quatre juges contre quatre, aucune majorité ne se dégageant. Dans ce cas précis, la juge Amy Coney Barrett, qui venait d’être nommée par le Président Trump, n’avait pas pu se prononcer, n’ayant pas eu suffisamment de temps pour étudier le dossier. Seuls huit des neuf juges avaient donc statué.
Les Républicains n’ont pour autant pas dit leur dernier mot. Ceux-ci ont interjeté appel de cette décision de la Cour suprême de Pennsylvanie et le dossier est actuellement en train de prendre la poussière dans les bureaux de la Cour suprême fédérale. Celle-ci devra pourtant s’en saisir à un moment ou un autre, et la donne pourrait être tout à fait différente. En effet, la juge conservatrice nommée par Donald Trump pourra cette fois se prononcer et éventuellement faire basculer la majorité des juges à cinq contre quatre.
Ainsi, tous les votes arrivés en retard pourraient être invalidés. Il faudrait cependant que Donald Trump gagne l’État de Caroline du Nord et de Géorgie car, en l’état actuel des choses, le Président sortant est uniquement en avance en Caroline du Nord. Reprendre les 20 grands électeurs de Pennsylvanie lui assurerait seulement 249 votes au collège électoral. Pas assez pour avoir la présidence.
Intervention du Congrès?
Autre option légale possible: empêcher certains grands électeurs de voter lors du scrutin du collège électoral prévu le 14 décembre. Si, par des manœuvres juridiques comme celles susmentionnées, une majorité claire ne se dégage pas au collège électoral, ou s’il y a une égalité parfaite, les États-Unis se retrouveraient dans le cas de la «contingent election». Le vote serait alors renvoyé devant la Chambre des représentants, tandis que le Sénat élirait le vice-Président. Des cas similaires se sont produits trois fois dans l’histoire des États-Unis: en 1801, 1825 et 1837.
Or, le vote à la chambre est déterminé par la majorité partisane au sein de chaque État, et non par le principe «un député = une voix». Ainsi l’Alaska, qui ne compte habituellement qu’un seul représentant, et le Texas, qui en dénombre 36, seraient-ils sur un pied d’égalité. Et à l’heure actuelle, même si les Démocrates peuvent compter sur davantage de représentants au Congrès que les Démocrates, seuls 22 États ont une majorité démocrate contre 26 qui en ont une républicaine.
En définitive, si chaque État votait en fonction de son appartenance partisane, cela permettrait donc à Donald Trump d’être réélu Président des États-Unis, alors qu’il aurait perdu le vote populaire et, possiblement, le collège électoral.
Les deux candidats auront donc plusieurs cordes à leur arc pour tenter de gagner judiciairement l’élection, même si l’un d’eux est annoncé perdant. L’esprit procédurier qui traverse l’Amérique pourrait bien atteindre des proportions inédites.