Le déplacement du ministre français des Affaires étrangères à Niamey ce 5 novembre avait des airs d’adieu que Jean-Yves Le Drian tenait à faire au Président Mahamadou Issoufou.
Ce dernier, après deux mandats à la tête du pays (2010-2015 et 2015-2020), sera absent de l’élection présidentielle du 27 décembre prochain. Un scrutin pour lequel il a (mollement?) soutenu, au sein du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNDS) au pouvoir, la candidature de Mohamed Bazoum, le très «sécurocrate» ex-ministre de l’Intérieur. Ce dernier a lui aussi quitté le gouvernement en juin dernier pour se consacrer exclusivement à son élection… assurée.
«Je suis venu pour rencontrer le Président Issoufou avant la fin de son mandat, ici, parce que nous avons depuis 2012 de nombreux échanges de qualité et je tenais à lui rendre hommage. Les élections [présidentielle et législatives] auront lieu au moment où elles devront avoir lieu, dans le respect de la Constitution. La qualité de l’élection au Niger sera une référence pour toute l’Afrique», a déclaré le chef de la diplomatie française, dans une conférence de presse à l’issue de son audience avec le Président nigérien.
Dans le contexte des violences meurtrières suscitées par les troisièmes mandats contestés d’Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire et d’Alpha Condé en Guinée, le discours et les mots de Jean-Yves Le Drian à l’endroit du futur ex-Président nigérien ne sont pas si innocents que cela.
«Le discours de Jean-Yves Le Drian à l’endroit du Président Mahammadou Issoufou est à double tranchant. D’une part, il envoie un message critique et subliminal à Alassane Ouattara et à Alpha Condé pour leurs responsabilités dans les événements dramatiques qui frappent leurs pays respectifs –même si nous aurions souhaité que le message de la France fût plus direct et plus clair à leur endroit. D’autre part, les propos du ministre des Affaires étrangères français sont une façon de soutenir Bazoum pour une continuité politique et sécuritaire dans l’action du pouvoir nigérien contre le terrorisme au Sahel», analyse pour Sputnik Emmanuel Dupuy, président de l’Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE).
Mohamed Bazoum apparaît comme un candidat «validé» par la France à la prochaine élection présidentielle nigérienne. Il est considéré comme l’architecte de la réponse sécuritaire que le Niger oppose au terrorisme transsahélien avec l’aide de Paris. Le fait que le Président Issoufou ait toujours affirmé sa volonté de ne pas briguer un troisième mandat a facilité la stabilité du pouvoir en place et de ses institutions, argument essentiel à l’efficacité de la lutte antiterroriste.
Dans une autre partie de son discours de Niamey, Jean-Yves Le Drian a mis en parallèle la sécurité du Niger et celle de la France. Car «lorsqu’on a des attentats au Niger, on se sent agressé comme les Nigériens se sentent agressés lorsqu’il y a des attentats en France». Une allusion à l’assassinat en août dernier de six humanitaires français et de leurs deux collaborateurs nigériens dans une réserve naturelle à l’ouest de la capitale. Cet acte avait été ensuite revendiqué par le groupe État islamique*.
Le journaliste d’investigation Moussa Aksar, par ailleurs consultant sur les questions de sécurité dans le Sahel, interrogé par Sputnik explique:
«Aujourd’hui, la France a besoin d’un Niger stable avec des élections organisées dans un climat apaisé. Après ce qu’il s’est passé en Côte d’Ivoire et en Guinée, il fallait marteler cet objectif afin d’éviter des dérapages incontrôlés qui fragiliseraient encore plus une région sahélienne déjà déstabilisée.»
«Mais il ne faut pas oublier qu’en matière d’élection, et surtout en ce qui concerne la question des mandats, le Niger a une histoire que la Côte d’Ivoire et la Guinée n’ont pas forcément», nuance-t-il.
En février 2010, l’obsession à briguer un troisième mandat consécutif avait valu au Président Mamadou Tandja un coup d’État militaire qui allait par la suite anticiper sa retraite politique. C’est à l’issue de la transition dirigée par le colonel Salou Djibo que Mahamadou Issoufou était arrivé au pouvoir en 2011.
*Organisation terroriste interdite en Russie.