«Vous connaissez tous des policiers ou des gendarmes qui sont insultés quand ils sont au supermarché avec leurs enfants ou leurs femmes.»
Lors de la commission des lois de l’Assemblée nationale lundi 2 novembre, Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, a apporté son soutien à la proposition de loi «relative à la sécurité globale». Déposée par les députés La République en marche Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue (ex-patron du RAID), elle sera débattue le 4 novembre, le gouvernement ayant engagé la procédure accélérée sur ce texte le 26 octobre.
Un projet de loi qui vise à renforcer la protection des agents de l’État. Pour ce faire, l’article 24 prévoit un an d’emprisonnement et 45.000 euros d’amende en cas de diffusion de «l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un fonctionnaire de la police nationale ou d’un militaire de la gendarmerie nationale lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police.»
L’objectif étant de «ne pas jeter en pâture» les forces de l’ordre «sur les réseaux sociaux», a expliqué le ministre de l’Intérieur en commission.
Sur BFMTV, Gérald Darmanin a enfoncé le clou en rappelant qu’il allait tenir ses engagements: «j’avais fait une promesse, qui était celle de ne plus pouvoir diffuser les images des policiers et des gendarmes sur les réseaux sociaux. Cette promesse sera tenue.»
Un article de loi «mal écrit»
Comme il l’explique, actuellement en cas de menace de mort par exemple, les peines encourues sont trois ans de prison et 45.000 euros d’amende (Article 222-17 du Code pénal). Le secrétaire général de VIGI pointe également un article de loi «mal écrit», car «sujet à interprétation». En effet, comment déterminer objectivement si le but de diffusion est de «porter atteinte à l’intégrité physique ou psychique du membre des forces de l’ordre»? Ce critère s’avère donc très subjectif. Sans compter les risques de censure de la liberté de la presse.
«Les journalistes qui se sont beaucoup battus contre les dérives qu’ils ont malheureusement appelées violences policières, plutôt que de faire la différence entre violence légitime et illégitime, n’auront plus le droit de filmer et de diffuser par exemple.»
«Sur le terrain, pour les policiers, cela va entraîner des situations conflictuelles […] et au final cela va encore engendrer le chaos», prévient Alexandre Langlois.
«C’est un coup de communication. D’un point de vue opérationnel, pour réellement protéger les policiers, il faut appliquer les lois qui existent, qui sont plus lourdes en conséquence pour les gens qui veulent nous menacer, nous harceler de diverses façons. Au pire, cela peut museler la presse», dénonce le syndicaliste.
Certains internautes ont rappelé qu’avec la loi «sécurité globale», l’affaire Benalla n’aurait pas pu être révélée.
Pourtant, les députés à l’origine de cet article, qui complèterait la loi de 1881 sur la liberté de la presse, ont mentionné que les mesures de floutage «ne font pas obstacle à la communication, aux autorités administratives et judiciaires compétentes, dans le cadre des procédures qu’elles diligentent». Suffisant pour rassurer les journalistes? Rien n’est moins sûr.
Atteintes à la liberté de la presse?
Des personnalités politiques sont d’ores et déjà vent debout contre cette proposition. C’est le cas du député LFI Ugo Bernalicis, qui juge sur LCP que cette disposition «n’est pas acceptable dans une démocratie comme la nôtre», car «il ne sera plus possible de filmer les policiers en intervention sauf à les flouter.»
Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’une telle proposition voit le jour. En décembre dernier, Jean-Pierre Grand, sénateur de l’Hérault Les Républicains, avait essayé de faire adopter un amendement interdisant la diffusion d’image de forces de l’ordre en opération, dans le cadre de loi de «lutte contre la haine» sur Internet. Un amendement retoqué par le Sénat, au motif que la loi Avia concernait «les plateformes et non les individus».
«A fortiori, ces mesures donneraient un pouvoir nouveau, dans un contexte où la contestation contre les violences policières grandit et où se fait criant le besoin de mécanismes démocratiques de contre-pouvoirs et de régulation du maintien de l’ordre.»