Extrêmes tensions autour des Présidentielles US: le Canada fébrile

Jamais les élections présidentielles américaines n’auront été autant appréhendées au Canada, pays dont 75% des exportations vont aux États-Unis. Certains Américains songent à immigrer au Canada en cas de réélection de Trump, tandis que des observateurs craignent l’éclatement de violents conflits. Une vague migratoire à venir? Sputnik fait le point.
Sputnik

À la veille des Présidentielles américaines, les Canadiens ont déjà les yeux rivés sur leur puissant voisin du Sud, dont la réélection de Donald Trump ou l’arrivée de Joe Biden pourrait changer la destinée, et la leur.

Le 8 octobre dernier, le Premier ministre canadien, Justin Trudeau, a déclaré se préparer à faire face à de possibles troubles, dans le cas où le résultat du vote ne serait pas sans équivoque:

«Je pense que nous regardons tous la polarisation qui se passe aux États-Unis avec une certaine inquiétude. […] Nous espérons tous une transition en douceur ou un résultat clair de l’élection, comme beaucoup de gens le font dans le monde entier. Si c’est moins clair, il peut y avoir des perturbations et nous devons être prêts à toute éventualité», avait laissé tomber Justin Trudeau.

De fait, de nombreux observateurs à travers le monde craignent que la contestation du résultat du vote par l’un ou l’autre des deux camps (Républicain ou Démocrate) ne mène à des affrontements violents sur fond de tensions raciales grandissantes. L’existence de groupes paramilitaires et les presque 400 millions d’armes à feu sur le territoire américain n’ont pas de quoi rassurer les experts, qui craignant des dérapages, à l’instar de Ferry de Kerckhove, ex-diplomate canadien.

Contestation des résultats: l’étincelle qui mettra le feu aux poudres?

Dans une entrevue accordée à Sputnik en juin dernier, ce professeur à l’École d’Affaires publiques et internationales de l’Université d’Ottawa évoquait même l’hypothèse d’une guerre civile:

«Il y a la possibilité que Joe Biden gagne de très près l’élection. À ce moment-là, si Donald Trump prétendait que l’élection lui a été volée et qu’il faisait appel à ses plus gros supporters dans la rue, il pourrait y avoir des échauffourées. Cela pourrait mener à une intervention de l’armée pour sauver la mise dans un contexte de grande division», avertissait Ferry de Kerckhove à notre micro.

Il y a quelques semaines, les images d’une milice armée afro-américaine défilant dans les rues de La Fayette en Louisiane ont été diffusées dans les médias. Se présentant sous le nom de «Not Fucking Around Coalition» (NFAC, la «coalition qui ne déconne pas»), cette milice est loin d’être le seul groupe armé aux États-Unis. Plusieurs groupes, comme les «Proud Boys» (les fiers garçons), sont soupçonnés de vouloir intervenir sur le terrain si des irrégularités électorales étaient dénoncées par l’un ou l’autre des candidats.

Durant le premier débat télévisé l’ayant opposé à Joe Biden, Donald Trump a refusé de condamner directement les groupes «suprémacistes blancs», en demandant plutôt aux «Proud Boys» de «reculer et de se tenir prêts».

Vers une vague migratoire en direction du Canada?

Selon l’historien québécois Marc Simard, le déclenchement d’affrontements entre groupes armés pourrait amener des Américains à émigrer au Canada, un scénario qui rappelle la migration des loyalistes britanniques en territoire canadien suivant la Révolution d’indépendance américaine.

Chose certaine, de plus en plus d’Américains songeaient déjà à quitter leur pays depuis l’élection de Donald Trump en 2016, ce que révèlent diverses études. Entre 2015 –moment où la candidature de Trump est devenue sérieuse– et 2019, le nombre de ressortissants américains qui ont déposé une demande pour devenir résidents permanents au Canada a connu une hausse de 30%. Entre 2015 et 2018, leur nombre est passé de 6.800 à 8.800. Les démarches entreprises par des Américains pour être naturalisés canadiens ont également augmenté de 60% depuis la victoire de Donald Trump contre Hillary Clinton, d’après les chiffres obtenus par Le Devoir.

Selon Me Stéphane Handfield, avocat canadien spécialisé en immigration, de plus en plus d’Américains tâtent effectivement le terrain pour venir au Canada, mais il est trop tôt pour déterminer s’ils traverseront la frontière:

«J’ignore s’il y aura une vague migratoire, mais comme en 2016, certains Américains s’informent sur les procédures d’immigration pour le Canada. En 2016, c’était des demandes d’information. Mais en 2020, il y a des gens qui m’ont indiqué vouloir déménager au Canada. Des gens sérieux. […]
Toutefois, est-ce que cela se concrétisera? Pas certain. Il y a quatre ans, nous n’avons pas vécu de vague. Par contre, je peux affirmer que des gens m’ont déjà contacté pour solliciter mon aide en cas de victoire de Trump», confie l’avocat en entrevue avec Sputnik.

Dans tous les cas, même s’il advenait que des conflits violents incitent des Américains à quitter le territoire, la fermeture de la frontière entre le Canada et les États-Unis provoquée par la pandémie de Covid-19 ne favoriserait pas les entrées, précise Me Handfield:

«Même si la violence éclatait, les mouvements de masse vers le Canada ne seraient pas possibles avec la pandémie, à moins que les gens passent de force ou ailleurs qu’à un poste de contrôle frontalier. Ça m’étonnerait qu’un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada conclue qu’il s’agit d’un voyage essentiel», ironise l’avocat.
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