Comment gérer moralement des mesures anticoronavirus de plus en plus coercitives? Après l’instauration d’un couvre-feu dans les métropoles les plus touchées par l’épidémie, Emmanuel Macron a annoncé de nouvelles dispositions afin d’endiguer la propagation du virus, dont un reconfinement national pour quatre semaines a minima.
Un moral à zéro
Alors que le confinement printanier a eu des effets néfastes sur une partie des Français, ce nouvel épisode d’isolement peut-il avoir de lourdes conséquences sur leur santé mentale?
Signe de leur mal-être, de nombreux psychiatres ont noté une hausse des consultations de nouveaux patients. C’est le cas du docteur Sophia Kantin, psychiatre et psychanaliste. Celle-ci ajoute d’ailleurs que quelques jours avant l’allocution télévisée du Président de la République, ses patients réguliers lui avaient d’ores et déjà indiqué qu’ils se rendraient à son cabinet.
«Si on prend des mesures trop drastiques, on ne va pas mourir du virus, mais de dépression et de suicide. […] Même s’il faut éradiquer le virus, il faut garder un minimum de bien-être psychique, on n’est pas fait pour rester isolé. Être coupé de la vie sociale rend fou», souligne le docteur Sophia Kantin.
La fondation FondaMental a d’ailleurs tiré la sonnette d’alarme en juin dernier. Pour offrir un soutien aux personnes en détresse psychologique, avec les professionnels de santé, elle a ouvert une plateforme téléphonique CovidÉcoute en avril.
Le confinement, tel un «test de Rorschach»
Sur son site, FondaMental prévient que «des sentiments d’anxiété ou d’inquiétude peuvent survenir à l’idée d’être contaminé ou qu’un proche le soit. De même, rester confiné chez soi pendant plusieurs semaines peut entraîner un état de stress important: la solitude, l’ennui, la frustration, la colère ou encore un climat de tensions familiales peuvent être propices à la survenue de douleurs morales».
La psychiatre constate que les pathologies les plus courantes chez les adultes sont effectivement «l’angoisse, la dépression» et dans «des cas plus extrêmes des psychoses paranoïaques». Néanmoins, elle estime que le confinement serait d’une certaine manière un «catalyseur» ou un «test de Rorschach».
«Chacun a projeté dans le confinement ce qui était, à mon avis, sous-jacent. […] Cela a exagéré, ou mis en lumière, des choses qui étaient latentes.»
Autre conséquence étonnante du confinement, «il révèle le sens de notre vie, en dehors du fait d’aller travailler et regarder la télévision le soir».
«C’est ce qui m’est apparu: les gens qui n’ont rien à côté, pas de vie intérieure, ils se retrouvent à boire, voire jusqu’à prendre de la drogue», analyse la psychiatre.
En outre, elle a aussi constaté que toutes les classes d’âge ont souffert de cette période de confinement. En effet, elle a reçu de nombreux appels pour des enfants qui adoptaient des comportements anormaux, «des crises, des roulades au sol» certainement liées au fait qu’«ils n’arrivaient pas à comprendre ce qu’était le virus».
«En téléconsultation, j’ai eu des petits enfants qui mettaient des jouets et des doudous autour de la porte pour éviter que le mal vienne de l’extérieur. Ils essayaient de mentaliser.»
Des difficultés de compréhension accentuées par la complexité pour les parents d’expliquer ce qu’est le coronavirus. «Même pour eux, ce n’était pas très clair, avec les informations contradictoires qui pouvaient circuler.»
Adolescents pas exemptés des effets néfastes du confinement
Du côté des adolescents, «cela a été très compliqué», observe Sophia Kantin. Dans certains cas, cela a provoqué des décrochages scolaires. D’une part à cause de la difficulté de suivre à distance. Et d’autre part, par le manque d’interaction sociale.
«Un adolescent est en pleine formation psychologique. Il a besoin d’une identification ou de la contre-identification de ses pairs, quand il n’a pas cela, il ne va pas bien. De fait, il se retrouve avec ses parents et c’est ce qui peut lui arriver de pire», sourit la psychiatre.
Avec une situation qui pourrait s’éterniser, que faut-il mettre en place afin d’éviter les baisses de moral ou les crises d’anxiété? Selon Sophia Kantin, il est «important de maintenir des rituels» tels que s’habiller par exemple. Parfois raillés, les journaux de bord de confinement pourraient également aider à surmonter cette épreuve. Par ailleurs, la psychiatre assure que le plus important est de «rester humain»:
«Il faut maintenir des interactions fortes, du lien social, en respectant les gestes barrières», conclut le Dr Sophia Kantin.