La RCA traverse depuis deux décennies des crises qui handicapent sans cesse la population à tous les niveaux. Aujourd’hui, les femmes centrafricaines se lèvent pour se faire entendre et changer l’environnement politique et économique. Et cette fois-ci, c’est une campagne qui couvre non seulement la capitale mais aussi les régions et qui est soutenue par les Nations unies. Dans un entretien exclusif, Lina Ekomo, présidente du Réseau pour le leadership de la Femme en Centrafrique (RELEFCA), explique ce qui a été fait cette année pour révolutionner la préparation des élections présidentielles et législatives en RCA.
Lobbying pour la cause fémininefemmes élections
Le premier tour des élections présidentielles est prévu pour le 27 décembre 2020. Durant toute cette année, malgré la pandémie et la crise sanitaire, Lina Ekomo en compagnie de ses collaboratrices a fait un travail sans précédent, comme elle le précise elle-même «un travail de pionnières». Pour les élections, elles ont mis en place un lobbying.
«Ce groupe de lobbying nous a permis de participer à la révision du code électoral qui contenait des clauses défavorables à la participation des femmes. Par exemple, il est demandé à tous les citoyens et citoyennes qui veulent être candidats de présenter un titre de propriété foncière alors qu’il se trouve que selon notre culture, quand la femme contribue à la construction d’une maison, tous les documents de cette propriété sont établis au nom de l’époux et la femme n’a pas de possibilité de changer le nom sur ce document pour être candidate à l’élection.»
Cette clause et bien d’autres ont été supprimées du code électoral grâce au travail de lobbying des femmes de la société civile. Elles ont également pu sensibiliser beaucoup de femmes et organiser des échanges interactifs avec des leaders de partis politiques.
Des coaches politique pour les femmes
C’est la première fois dans l’histoire de la RCA que des femmes se mobilisent pour la promotion des femmes de tous les partis politiques sans distinction, se réjouit Lina Ekomo. Et après ce scrutin, il sera possible de faire une évaluation pour comprendre si leur stratégie aura fonctionné ou pas.
«Nous avons mis à la disposition des candidates des coaches politiques pour pouvoir les encadrer, leur apprendre comment elles doivent préparer leur campagne électorale, comment elles doivent établir leur programme, comment elles doivent s’organiser. Et parallèlement à cela, nous avons mis en place une campagne nommée "La démocratie au féminin"».
La démocratie au féminin» s’occupe de la formation de bénévoles communautaires déployées dans tous les arrondissements de Bangui mais aussi en province pour faire de la sensibilisation de proximité. Cela contribue beaucoup à réduire les pesanteurs socio-culturelles qui empêchaient les femmes de participer aux élections, comme électrices et comme candidates, souligne la présidente du RELEFCA.
Les femmes médiatrices pour la paix
Une table ronde a été organisée par les Nations unies il y a quelques jours avec la participation du Réseau pour le leadership de la Femme en Centrafrique pour parler des mécanismes de paix en RCA. Les femmes centrafricaines n’ont pas attendu une initiative gouvernementale pour s’engager à rechercher la paix, même aux temps forts de la crise. Elles ont pris beaucoup de risques pour aller vers les parties en conflit, pour chercher à engager le dialogue avec elles afin de parvenir à une cessation des hostilités, martèle Lina Ekomo.
«Nous avons soulevé la préoccupation relative à la responsabilisation des femmes qui font partie des mécanismes de mise en œuvre de l’accord de paix. Il y a des rôles à attribuer, par exemple comme médiatrices, puisque dans le processus de paix en RCA il y a un maillon qui manque, c’est la médiation. Et cette médiation elle peut être assurée par les femmes. Nos partenaires ont beaucoup investi pour former les femmes médiatrices en grand nombre dans le pays mais elles ne sont pas utilisées jusqu’à ce jour».
«Les femmes sont très peu représentées»
Les femmes en RCA font face au problème de reconnaissance de la valeur de leur contribution dans la dynamique de développement et de paix, déplore Lina Ekomo. Les femmes sont très peu représentées dans les instances de prise de décisions, au niveau social, au niveau politique, au niveau économique, les femmes «demeurent toujours des grandes victimes parce qu’elles ne participent pas à la prise de ces décisions.
«Dans le secteur agricole par exemple, les femmes contribuent à 80% de la main d’œuvre alors que nous savons que le PIB repose majoritairement sur la production agricole. Mais les femmes ne sont pas représentées au niveau de la prise de décisions dans le pays concernant ce secteur et d’autres secteurs sociaux. Il y a très peu de place qui est accordée à la femme malgré le volume de [sa] contribution dans la dynamique de paix et de développement».
«Il faut repenser la stratégie de promotion du genre»
Des changements positifs ont été affirmés par les rapports d’évaluation du plan d’action de la mise en œuvre de la résolution 1325 sur la Femme, la paix, la sécurité, qui a relevé que les femmes ont pris conscience du rôle important qu’elles jouent dans le processus de consolidation de la paix en RCA. Mais la situation réelle de leur participation est encore faible au niveau décisionnel, affirme Lina Ekomo.
«Il y a un problème de volonté politique, car le gouvernement ne prévoit pas dans son plan d’investissement des financements pour la promotion du genre de manière spécifique. Nous sommes dans un pays qui a connu plus de deux décennies de crises ayant complètement détruit le tissu économique mais il n’existe aucun programme d’envergure pour l'autonomisation afin de permettre aux femmes de reconstituer leur capital économique. Il faut repenser la stratégie de promotion du genre».
Selon la présidente du Réseau pour le leadership de la Femme en Centrafrique, la RСA a connu un recul net et toutes les statistiques le confirment: la participation politique des femmes, de plus 30% avant 2016, a chuté à 15% en RCA. Ainsi, à l’Assemblée nationale, il y a 140 parlementaires, dont seulement 8 femmes.
Les jeunes filles ont «un avenir incertain»
Les femmes centrafricaines représentent 50% de la population, et quand on va dans les institutions d’éducation on les voit faire les mêmes études que les hommes mais quand il s’agit de la distribution des postes, la priorité est accordée aux hommes. La majorité des femmes centrafricaines vivent dans une pauvreté extrême, notamment dans l'arrière-pays où le taux de violence basé sur le genre est très élevé.
«Les jeunes filles aujourd’hui ont un avenir incertain car elles sont victimes de viols, d’agressions sexuelles et il n’y a pas de programmes d’assistances psycho-sociale pour cette catégorie de population qui vit dans le traumatisme permanent.»
«Il va falloir investir dans la dynamique des femmes»
Il va falloir investir dans la dynamique des femmes de la République centrafricaine si nous voulons que la paix soit durable, estime Lina Ekimo. La RCA pourrait avoir une économie émergente; pour cela il faudrait avoir un plus grand nombre de femmes qui deviennent des entrepreneurs, afin qu’elles puissent apporter un changement économique au pays.
«Lorsque j’aurai la satisfaction de voir un plus grand nombre de femmes dans les sphères de prise de décisions, à ce moment-là je pourrais avoir l’ambition d’aller rejoindre la politique. Je crois que la transformation est possible comme au Rwanda ou en Afrique du Sud qui sont devenus des pays émergents, parce que les femmes y jouent un rôle important au niveau politique. La RCA a tant souffert, j’espère qu’elle pourra devenir un pays émergent, surtout que le pays dispose des ressources naturelles qui peuvent faire vraiment son développement.»