Les États-Unis et l’Inde, unis contre l’«agression» de la Chine? C’est en tout cas ce qu’a déclaré ce 27 octobre à New Delhi le ministre américain de la Défense Mark Esper, en compagnie du secrétaire d’État Mike Pompeo, tous deux en visite à New Delhi afin de renforcer les liens entre les deux pays face à la Chine.
Concrètement, les deux hauts responsables américains ont signé un accord sur le partage de renseignements (BECA, Basic Exchange and Cooperation Agreement). Les services secrets des deux pays travailleront donc ensemble dans l’ombre, mais l’intention de l’entente est explicite: il s’agit pour les parties de «contrer les menaces pour la sécurité et la liberté posées par le Parti communiste chinois» et de «promouvoir la paix et la stabilité dans toute la région», selon les dires de Pompeo.
«Les Indiens ont besoin des Américains»
La guerre politico-commerciale fait toujours rage entre Washington et Pékin, le ministère chinois des Affaires étrangères confirmant le 26 octobre l’introduction de sanctions envers trois entreprises américaines ayant vendu des armes à Taïwan. Rappelons aussi que l’Inde et la Chine, puissances rivales, se disputent de larges pans de territoire dans l’Himalaya. L’année 2020 a été le théâtre d’affrontements meurtriers dans la région du Ladakh, notamment le 20 juin, quand une escarmouche à 4.000 mètres d’altitude fit 20 morts. L’Inde et les États-Unis, même combat face à la Chine? Sputnik a posé la question au général (2S) Alain Lamballe, spécialiste de l’Asie du Sud au Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R) et à la lettre d’information stratégique Asie 21.
«Le rapprochement est effectivement très net entre les Indiens et les Américains tout simplement à cause de la Chine», résume-t-il.
«Les Indiens ont besoin des Américains pour la fourniture d’armements sophistiqués, notamment des avions de reconnaissance maritime, et en matière de logistique et de renseignements.»
Une coopération militaire qui entre dans le cadre du Logistics Exchange Memorandum of Agreement (LEMOA) signé en 2016 par les deux pays, qui se met aujourd’hui en branle. Les exemples semblent se multiplier. Ainsi Alain Lamballe évoque-t-il l’atterrissage d’un avion de reconnaissance américain, le P-8 Poseidon, sur l’aéroport de Fort Blair, dans l’archipel des îles Andaman-et-Nicobar, dans le golfe du Bengale, ou encore le ravitaillement en carburant d’une frégate indienne, le Talwar, le 14 septembre auprès d’un navire américain, le Yukon, en mer d’Arabie.
Derrière la coopération stratégique, la guerre commerciale
Ce nouvel accord, le BECA, permettra au Pentagone d’échanger des données ultrasecrètes provenant de satellites et capteurs, données qui aideront l’Inde à ajuster ses missiles et le déploiement de ses troupes. Il autorisera également les États-Unis à apporter une technologie de navigation dernier cri à des avions de chasse susceptibles d’être fournis à l’Inde. L’objectif affiché de Mark Esper est de vendre à New Delhi des F-18 américains et de réduire, dans le même temps, les achats traditionnels d’armements de New Delhi à la Russie et à la France.
Présente à Ambala, dans l’extrême nord du pays, le 10 septembre lors d’une visite-éclair, Florence Parly, ministre française de la Défense, accompagnait la livraison de cinq avions de chasse Rafale, dans le cadre d’une commande de 36 appareils. Pour le général Lamballe, les Américains «veulent aussi contrer les ventes de nouveaux Rafale. C’est une guerre commerciale entre la France et les États-Unis.»
Les Nouvelles routes de la Soie face à la Pax americana
Pour le général Lamballe, pas de doute: les États-Unis poursuivent en se rapprochant de l’Inde des «préoccupations économiques» et un «but politique»: «encercler la Chine».
La région indopacifique sera également le théâtre de manœuvres militaires au mois de novembre opérées par le QUAD (Quadrilateral Security Dialogue) réunissant l’Inde, le Japon, l’Australie et les États-Unis. Selon le spécialiste de l’Asie du Sud, c’est un groupe de pays qui n’est «pas vraiment une alliance», mais qui a toutefois «tendance à se transformer en rapprochement militaire». Il s’agirait d’une manière de «contrer la puissance de la Chine, qui n’est pas tellement pacifique». La stratégie politico-économique des nouvelles Routes de la Soie, entamée par Xi Jinping, serait notamment dirigée contre l’Inde:
«La Chine essaie d’abord et réussit à encercler l’Inde, notamment par les corridors économiques, celui du Pakistan et celui de Birmanie.»
Une politique qu’essaie de renverser Washington en tentant d’isoler la Chine, de la Corée du Sud, en passant par le Japon, jusqu’à l’Inde.
«De leur côté, les États-Unis essaient de contre-encercler la Chine, en s’appuyant notamment sur l’Inde, et d’autres pays d’ailleurs en Asie du Sud-Est.»
Après l’Inde, Mike Pompeo se rendra ensuite au Sri Lanka, traditionnellement proche de Pékin. D’ailleurs l’ambassade de Chine à Colombo a mis en garde le Secrétaire d’État contre les tentatives américaines pour «semer le trouble et interférer dans les relations entre la Chine et le Sri Lanka, et pour contraindre et intimider le Sri Lanka».