Ouvert en octobre 2019, le procès de l’assassinat de Melchior Ndadaye, premier Président (hutu) démocratiquement élu au Burundi, a connu son épilogue le 20 octobre dernier, avec la condamnation à la prison à perpétuité de l’ancien chef d’État Pierre Buyoya.
Dix-huit autres personnes ayant occupé de hautes fonctions dans l’administration civile et militaire du pays au début des années 1990 ont également écopé de très lourdes peines, allant de 20 ans de prison à la prison à perpétuité.
Tous ont été reconnus coupables du meurtre de l’ancien Président. Cet événement majeur a déclenché, en 1993, une guerre civile au cours de laquelle plus de 300.000 personnes sont mortes et 450.000 sont devenues des réfugiés. Un seul acquitté: Antoine Nduwayo, ancien Premier ministre et membre de l’Uprona (Union pour le progrès national, le parti de la minorité tutsie).
Le verdict a été rendu en l’absence de Pierre Buyoya et de la plupart des accusés qui ont quitté le pays depuis plusieurs années. La Cour suprême du Burundi a, en outre, ordonné aux condamnés de verser 102 milliards de francs burundais (53 millions de dollars) à titre d’indemnisation aux familles des personnes tuées.
Retour sur un assassinat
L’année 1993 a marqué un tournant important dans l’histoire du Burundi. Ce fut l’année de tous les espoirs, mais aussi de tous les dangers. Tout a commencé au mois de juin, lorsque le Burundi a organisé ses premières élections pluralistes et démocratiques. Un jeune politicien hutu, Melchior Ndadaye (40 ans), a été élu Président de la République, mettant ainsi fin à des décennies de régimes autoritaires à parti unique dominés par la minorité tutsie du mouvement Uprona dirigé, jusqu’au scrutin de 1993, par le Président sortant, le major Pierre Buyoya.
Cette évolution positive de la situation politique du pays n’a cependant pas empêché l’armée burundaise, essentiellement contrôlée par la minorité tutsie, de comploter contre Melchior Ndadaye. Dans la nuit du 23 au 24 octobre 1993, des officiers parachutistes de l’armée burundaise ont pris d’assaut le palais présidentiel et ont assassiné Melchior Ndadaye, plongeant le pays dans une terrible guerre civile. Son successeur, Cyprien Ntaryamira, sera lui aussi assassiné le 6 avril 1994 dans un attentat aérien. Celui-ci visait l’avion du Président rwandais Juvénal Habyarimana dans lequel il se trouvait alors qu’il rentrait d’un mini-sommet consacré à la crise burundaise en Tanzanie.
Pierre Buyoya à la manœuvre?
Après cet assassinat, Sylvestre Ntibantunganya, qui était alors président de l’Assemblée nationale du Burundi, a repris les rênes du pays embourbé dans la guerre civile. Deux ans plus tard, soit le 25 juillet 1996, il est renversé à l’issue d’un coup d’État orchestré par un Pierre Buyoya soutenu par l’armée. C’est le quatrième putsch auquel le pays a été confronté depuis son indépendance en 1962, et le second mené par Pierre Buyoya, sur qui pesaient des soupçons dans l’assassinat de Melchior Ndadaye.
À l’époque, certains observateurs avaient estimé que la justice burundaise s’était contentée de sanctionner les «exécutants», laissant courir les «planificateurs» qui se trouvaient à l’étranger. Un argument que le procureur général burundais a repris à son compte des années plus tard, en novembre 2018, pour expliquer les raisons ayant conduit la justice burundaise à rouvrir le dossier et à lancer des mandats d’arrêt internationaux contre Pierre Buyoya et plusieurs autres personnalités civiles et militaires.
Si l’on peut accorder le bénéfice de la bonne foi aux autorités burundaises, il n’en reste pas moins que la démarche amorcée par la justice burundaise pour mettre en accusation l’ancien chef de l’État soulève des questions. Pourquoi ne pas avoir ouvert d’enquête sur cet assassinat depuis tout ce temps? Pourquoi avoir attendu près de 25 ans avant de déposer des accusations contre Pierre Buyoya et les autres responsables de l’armée?
Le mandat d’arrêt international lancé contre Buyoya était d’autant plus surprenant que le Burundi avait officiellement présenté, en 2014, la candidature de ce dernier comme secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) pour succéder au Sénégalais Abdou Diouf.
À l’époque, l’appui apporté à cette candidature par l’ex-Président Pierre Nkurunziza (aujourd’hui décédé) –à l’origine du mandat d’arrêt international– était loin de faire l’unanimité dans le pays, où les treize années de règne (1987-1993 et 1996-2003) de Buyoya n’avaient pas laissé que de bons souvenirs. Plusieurs caciques du parti au pouvoir, le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), s’y étaient opposés sans réussir à infléchir la position de Nkuruziza, qui avait écrit à tous les chefs d’État pour leur signifier qu’il soutenait la candidature de Buyoya.
De ce qui précède, on peut se demander si la poursuite puis la condamnation l’ex-chef de l’État burundais n’ont pas été motivées par des raisons purement politiques? La question reste posée. D’autant que l’actuel Président du Burundi, le général Évariste Ndayishimiye, est de plus en plus poussé par des caciques du système pour qu’il ne s’écarte pas de la ligne tracée par son prédécesseur, Pierre Nkurunziza, disparu en juin 2020.
De son côté, Pierre Buyoya, 70 ans, a dénoncé un «procès politique mené de manière scandaleuse, en violation de toutes les règles de droit» et annoncé, ce vendredi 23 octobre, qu’il allait faire appel de sa condamnation.
La position inconfortable de l’Union africaine
Cette affaire place l’Union africaine (UA) dans une position inconfortable. Depuis octobre 2012, l’ancien homme fort du Burundi occupe le poste de haut représentant de l’organisation pour le Mali et le Sahel. Si, il y a deux ans, l’UA s’était montrée assez indifférente face aux mandats d’arrêt internationaux émis contre Pierre Buyoya et ses coaccusés, appelant le gouvernement burundais «à s’abstenir de toute mesure susceptible de compliquer la recherche d’une solution consensuelle» dans le pays, la décision de la Cour suprême du Burundi place aujourd’hui l’organisation panafricaine dans une situation embarrassante.
On ne saurait prédire quelle suite l’UA donnera à cette affaire, mais pour l’heure, l’organisation est restée avare de commentaires. De son côté, Pierre Buyoya a affirmé ne pas exclure l’éventualité de surseoir à ses fonctions d’envoyé spécial de l’UA au Mali et au Sahel, mais entend s’en remettre à l’organisation panafricaine qui, de l’avis d’un diplomate africain interviewé par RFI, considère que toute la procédure visant Buyoya depuis deux ans n’est motivée que par des considérations essentiellement politiques.