Jusqu'à récemment, la France s’est montrée réticente face à la radicalisation islamiste dans les mosquées et centres islamiques du pays, mais elle semble changer de politique suite à la décapitation de l’enseignant Samuel Paty le 16 octobre dans les Yvelines, a déclaré à Sputnik l'ancien ambassadeur d'Israël en France, Avi Pazner.
L’assassinat de Samuel Paty, un professeur d’histoire-géographie qui avait montré des caricatures du prophète Mahomet à ses élèves à Conflans-Sainte-Honorine, a provoqué une vague de réaction à travers la France.
Ce meurtre brutal, perpétré par un réfugié tchétchène de 18 ans, a également suscité une réaction vigoureuse des autorités.
Le 20 octobre, le Président Emmanuel Macron a annoncé que son pays dissoudrait le collectif Cheikh Yassine, un groupe pro-Hamas, suite à la publication par son fondateur, Abdelhakim Sefrioui, d’une vidéo stigmatisant le professeur assassiné.
Des mesures sévères?
M.Macron a également promis d'intensifier les actions contre l’islam politique qui menace la sécurité de son pays. Ce serait la première fois que la République française décide d’aborder la question sérieusement, note M.Pazner.
«Jusqu'à récemment, la France était réticente à traiter le problème. D'autant plus qu'à chaque fois qu'il y avait un attentat terroriste, elle avait peur d'articuler les mots: "terreur islamique", préférant le formuler différemment», a indiqué l’ancien ambassadeur.
Selon M.Pazner, les autorités ne voulaient pas décevoir «un grand nombre d’électeurs», qui représentent environ 10% de la population française. Cette position s’expliquerait aussi par les valeurs libérales de la France qui refuse de lier une communauté entière au terrorisme, ainsi que par la notion d’égalité que l’État français a tenté de promouvoir, d’après le diplomate.
Désintégration, la cause de la radicalisation?
Le problème était que, pour de nombreux musulmans vivant en France, l'égalité n'était que sur le papier.
Au fil des ans, la France a absorbé des millions d'immigrés, dont beaucoup venaient d'anciennes colonies françaises d'Afrique du Nord. Mais si certains d’entre eux se sont intégrés avec succès, d’autres n’ont pas réussi à le faire, ce qui a conduit à leur frustration, selon une étude sur l’intégration sociale des musulmans en France publiée en 2010 par la revue Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS).
«Le sentiment de discrimination a créé un terrain fertile pour le radicalisme musulman parce que les jeunes déçus par leur isolement ont d'abord commencé à chercher la compagnie les uns des autres, puis à fréquenter les centres islamiques et les mosquées qui leur offraient une solution tout à fait différente à leurs problèmes», raconte l'ancien diplomate.
Cette «solution» était l'islam politique, diffusé par le mouvement des Frères musulmans*, qui a influencé de nombreux partis politiques, organisations caritatives et même groupes terroristes, dont le Hamas et Al-Qaïda*, note M.Pazner.
«Ennemi mortel pour la République»
Les autorités françaises ont déjà essayé de lutter contre la propagation de la haine par les radicaux islamistes. Gérard Darmanin, ministre de l’Intérieur, a qualifié l’islam politique d’«ennemi mortel pour la République».
Dans un rapport publié le 9 juillet, le Sénat a alerté sur la propagation de l’islam politique dans le pays.
Parmi les groupes ciblés par le rapport figurent les djihadistes, principaux acteurs d’attentats perpétrés en France ces dernières années, mais aussi des mouvements musulmans rigoristes notamment les Frères musulmans* ou les salafistes.
Les sénateurs ont proposé 44 mesures pour juguler une «radicalisation islamiste». Ils ont entre autres appelé à rendre plus facile la fermeture des lieux ou associations diffusant des discours discriminatoires, haineux ou violents, ainsi que le non-renouvellement des conventions signées avec des pays étrangers pour la formation des imams destinés à prêcher en France.
Soutien porté aux islamistes depuis l’étranger
Si ce rapport du Sénat a eu un impact, sa publication n’a pas pu arrêter la prédication des religieux radicaux. Selon les experts, les prédicateurs islamistes poursuivront leur mission tant qu'ils continuent de bénéficier du soutien d’acteurs étrangers, dont le Qatar et la Turquie.
«La Turquie soutient les Frères musulmans* pour des raisons idéologiques. À Ankara, ils font partie du gouvernement. Au Qatar, en revanche, les Frères musulmans* ne sont pas au pouvoir mais les liens de ce pays avec eux sont indéniables», a déclaré M.Pazner.
En fait, Doha ne cache même pas qu’il soutient le mouvement. Youssef al-Qaradâwî, l'un des principaux théologiens des Frères musulmans*, siège régulièrement au Qatar. Le Qatar a versé des millions de dollars aux mosquées et centres des Frères musulmans* en France, Italie et dans d’autres pays européens, selon le documentaire «Qatar, guerre d’influence sur l’islam d’Europe» diffusé en septembre 2019 sur Arte.
Des sources au sein des services de renseignement égyptiens qui surveillent l'activité des Frères musulmans* ont confié à Sputnik que le Qatar avait financé des groupes radicaux, y compris en France, à la fois «directement et indirectement». Des accusations similaires ont également été formulées par un certain nombre d'États du Golfe qui ont rompu leurs liens avec le Qatar en 2017 à la suite de son implication présumée dans le parrainage du terrorisme, des allégations que Doha nie avec véhémence.
Une goutte d’eau qui a fait déborder le vase?
Malgré ces révélations et accusations, Paris ne s’empressait pas jusqu’ici de prendre des mesures décisives contre l’islamisme radical. Mais la nouvelle attaque islamiste en France semble avoir enfin poussé les autorités à réagir.
«Le Président Macron a prononcé des mots forts en parlant de la décapitation [de Samuel Paty, ndlr]. Mais il reste à voir comment ces mots seront traduits en actions», conclut M.Pazner.
*Organisation terroriste interdite en Russie