«Le télétravail n’existe pas en agriculture»: au Canada, le choc du Covid-19 en milieu rural

Au Canada, certains observateurs craignent que la pandémie de Covid-19 ait pour effet d’augmenter la détresse des hommes en milieu rural, dont une récente étude conclut à un taux de suicide déjà élevé. Pour Pierrette Desrosiers, psychologue en milieu agricole, la pandémie ne fait qu’accentuer des problématiques déjà existantes. Entrevue.
Sputnik

Au Canada, le Covid-19 frapperait-il plus fort dans les campagnes sur le plan psychologique?

C’est du moins ce que laisse entrevoir une récente étude portant sur les morts et blessures infligées par arme à feu en Ontario et publiée dans le Journal de l’Association médicale canadienne. Selon les résultats de l’enquête, si les jeunes hommes sont plus susceptibles d’être blessés par arme à feu dans les milieux urbains, plus des deux tiers des blessures infligées par une personne à elle-même l’ont été par des hommes vivant en milieu rural, et «la plupart sont décédés des suites de leurs blessures.»

«Cela met en évidence le besoin de stratégies de prévention du suicide dans les zones rurales», concluent les chercheurs, qui mentionnent également le plus facile accès aux armes à feu pour expliquer ces disparités.

Ces résultats inquiètent des experts, pour qui le contexte de la pandémie pourrait aggraver la situation, indique le journal Globe and Mail.

Covid-19, la goutte qui fait déborder le vase des agriculteurs?

Selon la psychologue Pierrette Desrosiers, la crise du Covid-19 exacerbe effectivement des problématiques déjà bien connues dans les régions canadiennes et en particulier chez les agriculteurs. Mme Desrosiers est l’une des premières psychologues au monde à avoir fait du milieu agricole sa spécialité. Elle pointe d’abord les impacts économiques de la crise pour expliquer la situation:

«Dans les milieux agricoles, il y avait déjà un surplus de travail, et là, le manque de main d’œuvre ajoute un défi. Les travailleurs saisonniers en provenance du Mexique n’ont pas toujours pu aller travailler dans les exploitations […]. Il y a le choc des pertes économiques astronomiques. On voit du stress, de la fatigue et plusieurs séparations. Vivre une séparation quand vous avez trois ou quatre enfants et une ferme laitière, ce n’est pas simple à gérer», explique la psychologue à notre micro.

Covid-19: le complotisme au Québec, signe de «détresse psychologique»?
Ces dernières semaines, un mouvement opposé aux mesures sanitaires a émergé au Canada et en particulier au Québec sous l’influence de leaders qualifiés de «complotistes». Dans la Belle Province, pour freiner l’expansion de ce mouvement, les pages Facebook et YouTube de son principal leader, Alexis-Cossette Trudel, ont même été fermées. Selon une étude réalisée au printemps dernier par l’Université de Sherbrooke, près de 40% des Canadiens estiment que leurs gouvernements (provincial et/ou fédéral) leur cachent des informations importantes relatives à la crise.

Le mouvement «complotiste», une nouvelle source de tensions en milieu agricole?

Selon Pierrette Desrosiers, le débat sur les mesures sanitaires peut créer des tensions au sein même des exploitations, ce qui contribue à détériorer encore plus le climat de travail:

«Le télétravail n’existe pas en agriculture. Il n’y a pas d’interruption: on travaille avec du vivant. Imaginez les conséquences si des employés doivent s’absenter parce qu’ils ont été contaminés. Que fait-on des animaux, des légumes à récolter? […] J’ai des clients qui ont dû composer avec des employés opposés au port du masque ou qui ne croyaient pas au virus… Ça peut créer des conflits dans les entreprises agricoles», observe la psychologue.

Ces dernières semaines, plusieurs foyers de Covid-19 ont été identifiés par la Santé publique dans des milieux agricoles au Canada dans le contexte de la «deuxième vague». Au Québec, des fêtes étudiantes dans un collège préuniversitaire de la petite ville de La Pocatière ont eu des conséquences importantes pour les exploitants de la région, qui embauchent de nombreux étudiants.

Malgré tout, Pierrette Desrosiers souligne que la plupart des agriculteurs n’en sont pas à leur première épreuve:

«Certains agriculteurs vont même accepter que leurs exploitations ne soient pas rentables pendant de nombreuses années pour des raisons familiales et de filiation. Les agriculteurs considèrent qu’ils n’ont pas une entreprise comme une autre. Souvent, c’est une entreprise dont ils ont hérité de génération en génération. Ils peuvent avoir un sentiment de trahison envers leurs parents et même grands-parents quand ils décident de tout arrêter», conclut la psychologue.
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