Le 16 septembre 2020, Carrefour, opérateur français de la grande distribution, ouvrait son troisième site au Cameroun, dans le quartier commercial d’Akwa à Douala, la capitale économique, où le tout premier magasin de l’enseigne avait été inauguré en 2017. Le nouvel espace est bâti sur une superficie de 1.100 m2, dont 700 m2 de surface de vente.
En moins de quatre ans, le géant français est déjà installé sur trois sites dans les deux principales villes et il ne compte pas s’arrêter là.
Dans le cadre de son expansion en Afrique subsaharienne, Carrefour, qui est associé à un des leaders français de la grande distribution –CFAO Retail– dans une stratégie de conquête du marché africain, entend ouvrir au total six supermarchés au Cameroun d’ici à la fin de l’année 2021, pour un montant global de plus de 80 milliards de francs CFA (144 millions de dollars). Une offensive de la marque dans le pays qui, comme beaucoup d’autres, participe à l’éclosion d’un secteur tertiaire en pleine croissance.
Un déploiement massif des investisseurs étrangers
À l’instar du géant français de la grande distribution, de nombreuses enseignes internationales sont présentes dans le même segment sur le marché camerounais. Les européens Casino, Super U ou Spar ont déjà pris leurs quartiers en installant plusieurs surfaces sur les principales métropoles du pays. Et l’engouement ne fléchit pas...
Dans la capitale économique, la société Douala Retail and Convention Centre (DRCC), joint-venture entre le groupe camerounais Craft Development et le fonds d’investissement britannique Actis, ouvrira cette fin d’année ce qui est déjà présenté comme le plus vaste «mall» d’Afrique centrale.
«Avec la mondialisation et la multiplication des opportunités, des hypermarchés ont pensé qu’ils pouvaient créer des niches commerciales même dans les pays sous-développés. Ce n’est pas vraiment nouveau. C’est simplement qu’avec une plus grande ouverture des marchés, le phénomène s’accélère», analyse-t-il au micro de Sputnik.
Les marques étrangères sont davantage séduites par la diversité de l’économie camerounaise, estime Aristide Mabatto, expert en communication et directeur de clientèle d’une agence de conseil en communication à Douala. Pour lui, le Cameroun, souvent décrit comme le cœur battant de l’Afrique centrale, possède des atouts qui suscitent l’intérêt des multinationales.
«Le Cameroun, c’est quand même le poumon économique de l’Afrique centrale. À ce titre, il offre des opportunités que les pays voisins ne proposent pas forcément parce qu’on a une économie diversifiée», considère-t-il.
La riposte des acteurs locaux
Face à l’invasion du marché local par des marques internationales, les entrepreneurs camerounais ont lancé la contre-offensive. Dovv, Soneco, Kado, Saker et Santa Lucia ne comptent pas laisser ce terrain ultra rentable aux investisseurs étrangers et multiplient les implantations dans le pays. Loin du gigantisme et des investissements colossaux des filiales internationales, ces hommes d’affaires camerounais misent sur les supermarchés de proximité, plus modestes en superficie, plus près des clients.
«Il est vrai que les groupes étrangers mettent beaucoup de moyens financiers et certains bénéficient de privilèges en haut lieu comme dans l’octroi d’espaces mieux situés en plein centre-ville. Nous autres devrons jouer sur la proximité et surtout sur la promotion des produits nationaux pour faire vibrer la fibre patriotique», confie à Sputnik un responsable d’une enseigne locale sous anonymat.
Dans le pays, des investisseurs locaux tels que Bel Achat –propriété du milliardaire Nana Bouba– tiennent le pari. Le groupe vient d’injecter 4,6 millions d’euros pour le lancement de sa nouvelle enseigne à Douala et compte se déployer à travers 50 filiales sur l’ensemble du pays.
La naissance d’une classe moyenne
En 2018, l’entreprise technologique Fraym estimait la classe moyenne africaine à 330 millions de personnes, listant le Cameroun dans le top 20 des pays africains ayant la classe moyenne la plus importante.
Les grandes surfaces ont pour ambition, souligne Dieudonné Essomba, de capter une bonne partie des achats de cette partie de la population. Qui sont ces nouveaux consommateurs, objet de toutes les convoitises? «Il est évident qu’il y a déjà des Camerounais qui ont un pouvoir d’achat suffisant pour aller dans les supermarchés, sinon ils ne seraient pas là. Il faut aussi constater que cette classe moyenne, au Cameroun comme ailleurs en Afrique, a connu une augmentation progressive de ses revenus», souligne l’économiste.
Les études sur la consommation des biens et services sur le continent ces dernières années, précise l’expert, mettent en relief l’impact positif de la classe moyenne qui prend de l’ampleur du fait de l’augmentation des revenus et de l’affinement des modes de consommation.
«Le pouvoir d’achat se démocratise, la classe moyenne s’affirme de plus en plus. Cela montre qu’elle a envie de se projeter, elle aspire à un nouveau mode de consommation. Il y a aussi l’influence extérieure, c’est-à-dire la façon de consommer à l’européenne et à l’américaine, qui nous impacte beaucoup», précise Aristide Mabatto.
La fièvre de la grande distribution fait que les investisseurs étrangers comme nationaux multiplient les points de vente pour conquérir une classe moyenne dont le pouvoir d’achat est désormais significatif. Ainsi, à Yaoundé comme à Douala, d’autres projets de centres commerciaux sont annoncés. Une révolution au Cameroun qui rattrape peu à peu son retard dans ce domaine par rapport aux autres pays africains ayant la même taille de marché.