Après avoir tourné au fiasco, l’application française StopCovid, très peu téléchargée, fait peau neuve ce jeudi 22 octobre. Les raisons de son échec ont été analysées par Alexei Grinbaum, membre du Comité national pilote d'éthique du numérique, dans une interview accordée à Sputnik.
La version initiale de l’application était censée lutter contre l’épidémie pour prévenir l’utilisateur d’un contact avec une personne contaminée. Cependant, elle n’a été téléchargée que par environ 2,7 millions de personnes, soit à peine 4% de la population, alors que 62% des Français se sont dits prêts à l’utiliser, selon un sondage Odoxa réalisé en partenariat avec l’Usine digitale en avril. Par comparaison, l'application allemande a dépassé 18 millions de téléchargements.
Manque d'intérêt
Ce manque d'intérêt peut s’expliquer par l'insistance hautement symbolique sur la «centralisation» du protocole technique de l'application, explique Alexei Grinbaum livrant sa vision personnelle sur le sujet en marge du forum Open Innovations (Innovations ouvertes) à Skolkovo, centre russe de recherche et développement.
«Ils [l’Allemagne et l’Italie, ndlr] n'ont pas mis au premier plan la souveraineté, mais la robustesse du fonctionnement technique. Il me semble que c’est un bon exemple de tension entre un objectif politique et la réalité technologique. Le choix d'un système national de protection cryptographique s'est avéré contre-productif à plusieurs niveaux, tant pour le nombre de téléchargements que pour l'interopérabilité européenne», expose M.Grinbaum.
En outre, la présentation et la promotion des applications de ce type ne sont pas les mêmes dans tous les pays. Par exemple, en Angleterre, «des fonctionnaires travaillent directement avec différentes groupes de population touchés par le virus, pour leur expliquer l’importance de télécharger l’application», poursuit-il.
Selon lui, aucun pays n’a réussi à expliquer aux utilisateurs les avantages de son application.
«C’est la raison pour laquelle les fournisseurs des systèmes d’exploitation [Apple et Google, ndlr] entament des discussions sur le handicap que représente l’idée de proposer à l’utilisateur de librement télécharger l’application. Ils pensent qu’il vaudrait mieux l’intégrer automatiquement à leurs systèmes».
En matière de diminution du nombre d'étapes «manuelles», qui demandent une intervention de l'utilisateur, l'application estonienne donne déjà un exemple à suivre pour ses homologues en France ou en Allemagne.
Protection des données
Quand il s’agit d’un nouveau type de partage des données personnelles, certains peuvent se préoccuper du risque de divulgation ou de vol de ces informations. Cependant, le danger n'est pas plus grand qu'ailleurs, car «l’application s’appuie sur des mécanismes cryptographiques de chiffrement qui ne révèlent en aucune manière les données personnelles», assure Alexei Grinbaum.
«L’accès à vos données personnelles est le même, voire moindre, que lorsque vous utilisez normalement votre smartphone basé sur les systèmes d’exploitation d’Apple ou de Google. Le système d’exploitation en connaît déjà bien davantage sur vous. Grâce au protocole cryptographique, il n’y a pas de révélation supplémentaire, et ce malgré la possibilité d'attaques. Ces aspects sont notamment étudiés et contrôlés par la Commission nationale de l'informatique et des libertés en France », ajoute le chercheur.
Inexactitude de l’application
Un autre problème se pose aux concepteurs de l’application: son efficacité, car «la science ne fournit aucune information exacte sur le temps qu’il est nécessaire de passer près d’une personne malade pour que le logiciel puisse vous informer avec certitude de votre contamination par le virus».
Actuellement, l’application signale un risque lorsque son utilisateur passe plus de 15 minutes près d’un individu infecté. Et la diminution de ce temps à cinq minutes risque d’aboutir à l’augmentation du nombre de faux signalements, précise M.Grinbaum.
Ces difficultés viennent du fait que les développeurs «tentent d’adapter le Bluetooth, protocole de base de l’application de traçage, qui n’est pas créé pour mesurer le risque de contamination par le virus à des fins médicales».
«À l’heure actuelle, on peut plus ou moins constater que cette technologie basée sur le Bluetooth n’est pas efficace», conclut le physicien. Néanmoins, il existe d’autres applications qui opèrent via QR codes ou d’autres protocoles, mais «c’est une tout autre histoire», nuance Alexei Grinbaum.