RDC: pourquoi Minembwe cristallise-t-elle tant les passions?

Le classement de la localité de Minembwe en «commune rurale» au Sud-Kivu a provoqué un tollé général en RDC et dans la diaspora congolaise, contraignant Félix Tshisekedi à le suspendre. Derrière cette levée de boucliers, la peur profonde des Congolais de voir leur pays balkanisé. Décryptage pour Sputnik du chercheur et journaliste Patrick Mbeko.
Sputnik

En République démocratique du Congo (RDC) et dans la diaspora congolaise, un mot est sur toutes lèvres: Minembwe. Cette localité située dans le Sud-Kivu, à l’est du pays, est, depuis plusieurs années maintenant, l’objet d’attentions, mais aussi et surtout de toutes les tensions. Revendiquée par les Banyamulenge (populations tutsies rwandophones vivant à l’est du Congo), qui se disent originaires du coin, elle cristallise la colère des autochtones (Bafuliro, Babemba et Banuyindi) pour qui les Banyamulenge nourriraient d’inavouables velléités à l’égard de leur territoire.

Son classement en tant que «commune rurale» en territoire de Fizi ainsi que l’installation officielle de son bourgmestre (un Tutsi) le 28 septembre dernier avaient provoqué une telle onde de choc dans le pays et dans la diaspora congolaise que le Président Félix Tshisekedi s’est senti dans l’obligation de suspendre cette mesure il y a quelques jours.

Au commencement d’un problème territorial

Pour comprendre la crise qui secoue le territoire de Minembwe, il faut remonter à la seconde guerre du Congo, qui avait débuté dans les montages du Kivu en août 1998. À l’époque, la rupture était consommée entre le Rwanda et l’Ouganda –parrainés par les États-Unis et la Grande-Bretagne– et Laurent-Désiré Kabila –qu’ils venaient de placer au pouvoir une année plus tôt et qui s’était montré rétif face à leurs intérêts au Congo en refusant de respecter les accords conclus avec ceux qui l’ont fait roi.

Si la volonté de contrôler les ressources naturelles du Congo avait été au cœur de l’implication rwando-ougandaise en RDC, il n’en reste pas moins que pour le Rwanda particulièrement, cette appétence des richesses naturelles s’accompagnait d’un autre dessein: le contrôle du Kivu pour s’en servir non seulement de guichet automatique des ressources minières, mais aussi d’exutoire démographique. L’un des territoires visés était... Minembwe.

RDC: terrain de jeu des armées étrangères
Pour atteindre son objectif en RDC, Kigali va s’appuyer sur les Banyamulenge. Ces derniers s’étaient déjà distingués lors de la première guerre du Congo en octobre 1996 en servant de paravents aux armées coalisées du Rwanda et de l’Ouganda. Ils suscitent depuis une méfiance profonde au sein de la population locale. À partir de 1998, ils s’étaient regroupés au sein du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD-Goma), groupe «rebelle» créé pour la circonstance à Kigali.

C’est à travers ce mouvement armé dirigé par des Banyamulenge que le régime de Kagame a articulé sa stratégie de pillage de ressources et d’occupation territoriale d’une partie du Kivu. Il ne s’agit pas d’une simple vue de l’esprit. Cet état de fait a en effet été mis en évidence par les experts mandatés par le Conseil de sécurité de l’ONU pour faire la lumière sur le pillage des ressources naturelles du Congo. Dans leur rapport, ceux-ci observent:

«Sur la base de son analyse de nombreux documents et témoignages oraux, le groupe d’experts estime que la présence du Rwanda dans la République démocratique du Congo a pour but d’accroître le nombre de Rwandais qui se trouvent dans l’est du pays et d’encourager ceux qui y sont déjà installés à conjuguer leurs efforts pour aider le Rwanda à exercer son contrôle économique.»

Les experts de l’ONU ont donné d’autres détails sur la stratégie utilisée par le Rwanda pour maintenir sa présence au Congo: «Le départ récent des troupes rwandaises ne devrait pas être interprété comme un signe de la volonté du Rwanda de réduire sa participation considérable à l’opération d’évacuation de ressources précieuses, de réduire l’intensité du conflit armé ou de réduire la crise humanitaire dans la région. L’exploitation économique sous ses diverses formes continuera, mais en s’appuyant sur une force armée moins visible et en ayant recours à d’autres stratégies.»

Les rapports subséquents des Nations unies et d’ONG internationales comme Refugee International sont venus confirmer cet état de fait.

Les manigances de Mister Ruberwa

Au cœur du dispositif rwandais au Congo, un homme: Azarias Ruberwa. Banyamulenge ayant passé la majeure partie de sa vie en RDC, il était le président du RCD-Goma avant de devenir l’un des quatre vice-Présidents que comptait la RDC après la signature de l’accord de paix de Sun-City en 2003. Dès l’année suivante, il s’était mis à manœuvrer pour créer les conditions devant faire de Minembwe un territoire banyamulenge, pour ne pas dire une sorte d’enclave rwandaise sur le territoire congolais, à l’image du Lesotho en Afrique du Sud. Pour cela, il fallait tout d’abord conférer à Minembwe le statut de «commune rurale».

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En 2009, le gouverneur du Sud-Kivu avait proposé à l’assemblée provinciale de confier le statut de commune à certaines agglomérations, dont Minembwe. Mais l’assemblée provinciale du Sud-Kivu avait rejeté le cas de Minembwe étant donné que ce territoire ne remplissait pas les conditions requises pour être érigé en agglomération rurale.
C’est alors qu’Azarias Ruberwa, devenu depuis lors ministre de la Décentralisation, appuyé par des politiciens banyamulenge et de proches de l’ancien Président Joseph Kabila, a décidé de faire du forcing en signant un arrêté interministériel faisant de Minembwe une «commune rurale», en violation de l’avis conforme émis par l’assemblée provinciale du Sud-Kivu. La manœuvre était quasiment passée inaperçue jusqu’à ce que le même Ruberwa décide d’installer la «nouvelle» commune et d’en nommer son bourgmestre, provoquant un tollé général dans tout le pays.

Pour l’ancien Premier ministre Adolphe Muzito, qui a été aux affaires jusqu’en 2012, le décret érigeant Minembwe en commune rurale est une fraude juridique. En réalité, ce que les Congolais craignent à travers cet acte, c’est que les Banyamulenge acquièrent non seulement les mêmes droits que les autochtones, mais qu’ils puissent en plus s’en servir pour faire triompher l’agenda du Rwanda en RDC.

Une zone d’affrontements sur fond de tensions régionales

Minembwe n’est pas seulement une zone de tension entre autochtones congolais et Banyamulenge. Depuis plusieurs années, ce territoire est également devenu un espace d’affrontement où certains États voisins rivaux viennent régler leurs comptes.

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C’est notamment le cas du Rwanda et du Burundi qui s’affrontent par groupes armés interposés. Le même Rwanda soutient des groupes banyamulenge en guerre non seulement contre des groupes d’autodéfense issus des communautés locales, mais aussi contre le CNRD (Conseil national pour le renouveau et la démocratie), la branche armée du Rwanda National Congress (RNC) de l’ancien chef d’état-major rwandais, le général Kayumba Nyamwasa, en exil en Afrique du Sud. Ce dernier bénéficie du soutien de l’Ouganda, mais aussi, ironie de l’histoire, de certains Banyamulenge en rupture avec Kigali. L’imbroglio est total...

Si les tensions dans cette partie du Congo semblent avoir baissé en intensité ces derniers mois, l’installation de la «commune rurale» de Minembwe est venue raviver les inquiétudes d’autrefois. En effet, au Kivu comme dans le reste de la RDC, celle-ci est perçue comme un signe avant-coureur de la balkanisation du pays...

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