Le virus du faux: comment étudier la désinformation à l’heure du coronavirus

Lutter contre la désinformation à l’heure du coronavirus est un mantra régulièrement employé par le gouvernement français, qui n’a pas donné de résultats probants. C’est pourtant l’objectif que s’est fixé François-Bernard Huyghe, de l’IRIS, qui tente de poser un regard dépassionné sur l’avalanche des fake news liées à la pandémie. Entretien.
Sputnik

En février, l’Organisation mondiale de la santé (OMS), avertissait déjà d’une conséquence néfaste de la crise sanitaire, la notion d’«infodémie», à savoir la surabondance d’informations qui ne sont pas toujours vraies ou exactes.

Ainsi, l’agence onusienne s’est-elle investie dans la lutte «contre la propagation de rumeurs et la désinformation». Après huit mois, quel est son bilan? De nombreux acteurs tant privés –tels que les réseaux sociaux– qu’institutionnels, comme les médias, les experts médicaux et politiques, à commencer par le plus haut sommet de l’État, ont tous participé à ce magma de l’«infodémie», ponctué par des informations contradictoires. Souvent évoqué, l’imbroglio de l’exécutif français autour de la gestion des masques s’est révélé extrêmement dommageable pour la confiance de la population envers son gouvernement.

C’est la raison pour laquelle l’IRIS a lancé l’Observatoire (Dés) information & géopolitique au temps du Covid-19, dirigé par le médiologue François-Bernard Huyghe, auteur de Fake news: La manipulation en 2019 (VA Éditions, 2019). Quels sont donc les objectifs poursuivis? «Déconstruire la désinformation autour de ce virus», «analyser les stratégies menées par les États et les acteurs non-étatiques», ainsi que la production d’«expertises de qualité sur le Covid-19 et ses implications géopolitiques.»

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Qui croire encore aujourd’hui? Après plusieurs mois de pandémie mondiale, la question se pose avec davantage acuité. François-Bernard Huyghe observe froidement que ni les «intérêts étatiques ni les passions idéologiques ne favorisent la production de discours fiables». Un constat dramatique qui se vérifie en France et à l’étranger. C’est une étude de l’université américaine Cornell, publiée le 1er octobre, qui a conclu que Donald Trump a très probablement été le facteur ayant le plus engendré de désinformation sur le Covid-19, principalement en ce qui concerne les remèdes miracles. Le Président américain s’est notamment demandé si l’utilisation d’eau de Javel ou de désinfectant pourrait servir de piste de soin contre le virus. Des propos qui lui ont valu à plusieurs reprises d’être censuré par Twitter, permettant à ses partisans et à lui-même de crier au complot.

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Les politiques, mais aussi les scientifiques, se retrouvent donc sur le banc des accusés. Selon Huyghe, l’un des phénomènes frappants de la pandémie est l’accélération de la crise de l’autorité scientifique.

«Si vous allumez votre télévision, vous regardez deux experts en train de s’engueuler à propos de la deuxième vague ou sur ce qu’il faut faire. Vous assistez à des controverses scientifiques qui prennent des dimensions internationales, c’est notamment le cas de l’affaire Raoult, avec cette étude de The Lancet qui s’est révélée sinon fausse du moins indigne d’être publiée.»

Le cas du directeur de l’Institut hospitalier universitaire de Marseille, grand défenseur de l’hydroxychloroquine, interpelle le médiologue. Celui-ci a longtemps dénoncé le Сonseil scientifique et les sommités médicales en France, quitte à s’attirer les foudres des autorités. À son corps défendant, l’infectiologue a été la figure de proue de différents mouvements dans la société française, analyse François Bernard Huyghe:

«À la fois par sa faconde, sa façon de parler, son physique, parce qu’il représentait Marseille contre Paris, le professeur Raoult a incarné un peu la résistance aux élites, d’un éventail qui couvre des gens […] qui disaient qu’il fallait seulement essayer l’hydroxychloroquine, jusqu’à des personnes plus complotistes, qui vont voir en lui le résistant gaulois face à Big Pharma. Beaucoup de choses se sont projetées sur la figure du professeur Raoult, devenu une sorte de symbole de la résistance pour les uns et un charlatan populiste pour les autres.»

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Le résultat de cette crise de la vérité? Pour l’expert des fake news, les «certitudes scientifiques» et les sources crédibles ne freinent plus la «diffusion des croyances fausses et douteuses». La globalisation des réseaux sociaux a permis à nombre d’internautes de s’épancher sur leur vision de la crise sanitaire, et certains se sont avérés franchement complotistes. Simples délires diffusés en masse par les algorithmes? La responsabilité du milliardaire Bill Gates, les antennes de 5G, ou encore que le virus n’existe pas, sont des rumeurs lancinantes qui ont participé au brouillage informationnel dans lequel Huyghe n’écarte pas la piste des «manipulateurs intéressés, pirates ou escrocs en ligne, celles de groupes aux motivations idéologiques.»

La stratégie chinoise passée au crible

Cette «infodémie» intervient également dans une époque «obsédée par les interférences politiques, les fake news qui fausseraient les votes.» À ce propos, l’affaire Cambridge Analytica s’est avérée être un flop. Accusées d’avoir influencé massivement la campagne en faveur du Brexit, l’entreprise britannique et l’efficacité de ses méthodes ont largement été surestimées, selon les conclusions de l’enquête menée par l’Information Commissionner Office. Et quid des stratégies étatiques? François-Bernard Huyghe analyse le cas de la Chine, qui a suscité nombre de controverses, entre l’accusation d’avoir élaboré le Covid-19 dans un laboratoire P4 de Wuhan, celle de l’avoir laissé fuiter ou encore sur la gestion chinoise de la pandémie, les critiques soulignant l’incohérence des chiffres officiels.

«Ces accusations viennent très largement des milieux américains et trumpistes, puisqu’au fond, ce serait le méchant régime chinois, le virus chinois qui serait responsable de tout. En contrepartie, les Chinois se défendent avec vigueur, déclarant que leur gestion a été excellente et que leur système idéologico-politique est très efficace pour lutter contre la pandémie. Ils parviennent même à brandir leur soft Power, proposant leur aide à la Grèce et à l’Italie», conclut le chercheur.
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