Présidentielle ivoirienne: Bédié et Affi N’Guessan boycottent, Ouattara bat campagne

Alors que vient de s’ouvrir la campagne électorale ivoirienne, les candidats Henri Konan Bédié et Pascal Affi N’Guessan ont, dans une déclaration commune, appelé leurs militants au «boycott actif» de la présidentielle, quand leurs adversaires, Alassane Ouattara et Kouadio Konan Bertin, maintiennent résolument le cap.
Sputnik
«Nous portons à la connaissance de l’opinion nationale et internationale que nous ne sommes pas du tout concernés par le processus électoral en cours, qui est illégal parce qu’il ne correspond à aucun critère international», a déclaré Pascal Affi N’Guessan en compagnie de Henri Konan Bédié, face à la presse le 15 octobre à Abidjan.

Les deux candidats à la présidentielle du 31 octobre ont, par conséquent, invité leurs militants, «tout comme les électeurs ivoiriens, à s’abstenir de participer, tant à la distribution des cartes d’électeurs qu’à la campagne électorale» qui a officiellement démarré ce 15 octobre.

«Nous invitons nos militants à faire barrage à ce coup d’État que le Président Alassane Ouattara s’apprête à commettre, en empêchant la tenue de toute opération liée à ce scrutin et en mettant en application le mot d’ordre de boycott actif par tous les moyens légaux à leur disposition», a ajouté l’ancien Premier ministre de Laurent Gbagbo.

Pour Hichem Ben Yaïche, expert en géopolitique et qui dirige trois revues spécialisées dans les thématiques africaines, «cette volonté de rompre avec le processus électoral vient marquer le coup et souligner que le scrutin du 31 octobre ne sera pas le reflet de l’opinion et des choix des Ivoiriens», dit-il à Sputnik.

«Ce à quoi on assiste actuellement est une véritable guerre psychologique menée par l’opposition contre le pouvoir de Ouattara. Cela vise surtout à semer le doute, à embrouiller l’esprit des électeurs afin qu’ils n’aillent pas voter», a-t-il déclaré.

Selon l’expert, en défiant Alassane Ouattara, dont les affiches de campagne ont déjà commencé à envahir les villes du pays, «les leaders de l’opposition entendent démontrer qu’ils ont les moyens d’exercer une forte pression sur le Président sortant qui semble totalement vouloir les ignorer».

Et maintenant?

Nombreux sont les observateurs qui estiment qu’avec cet appel au boycott –qui implique, a priori, un retrait de la course à la présidentielle de Henri Konan Bédié et de Pascal Affi N’Guessan, bien que les deux candidats ne l’aient pas ouvertement annoncé à ce stade–, le processus électoral en cours en Côte d’Ivoire a désormais perdu toute crédibilité.

Alassane Ouattara candidat, «un coup d’État acté» par le Conseil constitutionnel ivoirien
Mais pour Laurent Bigot, ancien diplomate français spécialiste de l’Afrique de l’Ouest interrogé par Sputnik, la présidentielle de 2020 «avait déjà perdu toute crédibilité avec l’élimination par le Conseil constitutionnel de 40 candidats sur les 44» que lui avait transmis la Commission électorale indépendante (CEI, la structure chargée d’organiser les élections).

Les candidats retenus par le Conseil constitutionnel le 14 septembre dernier sont Alassane Ouattara (78 ans, au pouvoir depuis 2011), l’ancien Premier ministre Pascal Affi N’Guessan (67 ans), Henri Konan Bédié (86 ans, qui a dirigé le pays de 1993 à 1999) et enfin l’ex-conseiller de ce dernier, le député Kouadio Konan Bertin (51 ans, dissident du PDCI –le parti de Bédié– et qui se présente en indépendant).

Parmi les 40 dossiers écartés figurent ceux de l’ancien Président Laurent Gbagbo (2000-2010) et de l’ex-président de l’Assemblée nationale Guillaume Soro. Le premier est actuellement en liberté conditionnelle en Belgique et dans l’attente d’un éventuel procès en appel devant la Cour pénale internationale (CPI). Quant au second, grand artisan de l’accession au pouvoir d’Alassane Ouattara et soutien indéfectible de sa réélection en 2015, il est en exil en Europe.

Présidentielle ivoirienne: la «désobéissance civile» fera-t-elle bouger les lignes?
Dans la foulée du verdict du Conseil constitutionnel, les principaux partis d’opposition, avec à leurs côtés des mouvements de la société civile, ont appelé les Ivoiriens à la désobéissance sur toute l’étendue du territoire. Une action –qui se veut selon ses initiateurs avant tout «non violente et pacifique», mais aussi «redoutable et irrépressible»– censée «sonner le glas pour Alassane Ouattara» qui a décidé de briguer un troisième mandat «contraire à la Constitution».

L’opposition exige, préalablement à tout scrutin, le retrait de la candidature d’Alassane Ouattara, la dissolution du Conseil constitutionnel pour le remplacer par une «juridiction véritablement impartiale», la dissolution de la CEI «inféodée au parti au pouvoir», l’audit international des listes électorales, la libération de tous les prisonniers politiques, civils et militaires, et le retour sécurisé de tous les exilés.

Le nécessaire dialogue

Henri Konan Bédié et Pascal Affi N’Guessan, et à travers eux l’opposition tout entière, espèrent que leurs actions vont pousser «le pouvoir actuel à convoquer l’ensemble des forces politiques nationales afin de trouver des solutions acceptables» à leurs revendications, a soutenu le second face à la presse.

Début octobre, la Mission conjointe de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), de l’Union africaine et des Nations unies a, justement, invité «l’ensemble des parties prenantes à favoriser le dialogue et à s’engager pour l’organisation et la tenue d’une élection crédible, transparente, inclusive».

«Si le dialogue inclusif ne reprend pas, la Côte d’Ivoire entrera dans l’incertitude totale», prévient Laurent Bigot.

Vers un nouveau conflit armé?

Hichem Ben Yaïche fait remarquer que le processus électoral en cours se déroule «dans un contexte de dramatisation et de malaise profond, qui rappelle à la Côte d’Ivoire ses démons du passé». 

«Pour que le monde le sache!», le retentissant tir de sommation de l’opposition ivoirienne
«On est face à une situation où chacun campe sur ses positions. Le moindre recul ou changement d’avis peut être perçu comme un aveu de faiblesse. L’hystérisation des comportements est un élément très dangereux dans une démocratie», a-t-il prévenu.

Cependant, il est d’avis que c’est une «facilité de langage» que d’affirmer qu’il y aura, à la faveur de l’élection de 2020, un conflit armé en Côte d’Ivoire.

«Il y aura des violences, certes, mais tout dépendra de la manière dont elles seront traitées. En tout cas, il est trop tôt pour s’avancer et dire qu’il y aura un conflit armé. Et n’oublions pas que ce pays a encore en mémoire la crise de 2010-2011», a-t-il déclaré.

Lors de la présidentielle de 2010, le Conseil constitutionnel et la CEI avaient été au cœur des contestations qui avaient débouché sur une crise postélectorale sanglante qui, officiellement, a fait plus de 3.000 morts. Cette dernière s’était déclenchée après que le Président sortant, Laurent Gbagbo, reconnu vainqueur par le Conseil constitutionnel, et Alassane Ouattara, proclamé comme tel par la CEI, avaient chacun revendiqué la victoire.

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