Rien moins qu’un crime. C’est la qualification que reçoit toujours l’avortement en Côte d’Ivoire. Un pays qui dispose d’une des législations les plus restrictives en Afrique en la matière.
Selon l’article 425 du Code pénal, «constitue l’avortement l’emploi d’aliments, breuvages, médicaments, substances, manœuvres, violences ou tout autre moyen en vue de provoquer l’expulsion prématurée de l’embryon ou du fœtus, quel que soit le moment de la grossesse où cette expulsion est pratiquée, que la femme y ait consenti ou non».
Un état des lieux alarmant
Une étude a été menée en 2018 par l’Institut national de la statistique et le ministère de la Santé –sous la supervision générale et avec le soutien de l’Institut Bill & Melinda Gates pour la population et la santé de la reproduction. Il en ressort que l’incidence des avortements potentiels est de 36,9 pour 1.000 femmes de 15 à 49 ans, selon la déclaration des concernées elles-mêmes, et de 50,8 pour 1.000, quand on se réfère à l’expérience de leur confidente proche.
Le Code pénal ivoirien dispose que quiconque commet ou tente de commettre un avortement est passible d’une peine d’emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 150.000 à 1.500.000 francs CFA (229 à 2.287 euros). Et l’incarcération est de dix à vingt ans s’il en est résulté la mort de la victime.
Dans ces circonstances, par peur d’être stigmatisées et pour éviter des poursuites, la plupart des femmes qui avortent –quand bien même elles auraient pu le faire légalement dans certains cas prévus par la loi– choisissent spontanément d’agir en secret.
L’avortement autorisé sous certaines conditions
La loi ivoirienne permet l’avortement seulement pour «sauvegarder la vie de la mère gravement menacée» et à la suite d’un viol, à la demande de la victime.
Mais pour chacun de ces deux cas particuliers, «le médecin traitant ou le chirurgien doit prendre l’avis de deux médecins consultants qui, après examen, attestent que la vie de la mère ne peut être sauvegardée qu’au moyen d’une telle intervention chirurgicale ou thérapeutique ou que telle était la volonté de la victime de viol, dûment constatée par écrit», comme le précise l’alinéa 2 de l’article 427 du Code pénal.
Mais ces exceptions peinent à s’appliquer, les ONG pointent une résistance de la société.
C’est la raison pour laquelle ces différents acteurs de la société civile tentent de faire plutôt appel au Protocole de Maputo relatif à la protection des droits des femmes et des filles en Afrique, signé et ratifié par la Côte d’Ivoire. D’abord parce que la Constitution ivoirienne reconnaît, dans son article 123, aux «traités ou accords régulièrement ratifiés […] une autorité supérieure à celle des lois». Mais surtout, les dispositions du traité apparaissent clairement plus favorables à l’avortement que la loi ivoirienne.
Celui-ci engage en effet le pays à autoriser l’avortement médicalisé (et donc sécurisé) en cas d’agression sexuelle, de viol, d’inceste et lorsque la grossesse met en danger la santé mentale et physique de la mère ou la vie de la mère et du fœtus.
Convaincues que «l’application effective» du Protocole de Maputo permettra de réduire le nombre d’avortements clandestins, et par conséquent de décès maternels, des organisations de la société civile pour la santé de la reproduction multiplient les plaidoyers auprès de l’État. Mais c’est sans compter la farouche opposition des hérauts de la moralité chrétienne ou musulmane.
«L’avortement est un crime»
En 2018, déjà, l’église catholique en Côte d’Ivoire s’était catégoriquement opposée à un projet de loi relatif à la «santé sexuelle et la reproduction» qui devait, selon le gouvernement, lutter contre le phénomène des grossesses non désirées, en particulier chez les adolescentes, et permettre aux Ivoiriens de contrôler leur sexualité.
Dans un message adressé aux autorités, l’église avait qualifié de «véritable perversion» le projet de loi dont le processus d’adoption a, depuis, été mis en stand-by.
«Au sujet de l’avortement, il faut affirmer clairement et sans ambages que c’est un crime. Point n’est besoin de chercher des euphémismes ou d’avoir recours à des subterfuges ou à une manipulation du langage pour édulcorer cette vérité. L’interruption volontaire de grossesse est toujours un homicide volontaire», avaient déclaré les évêques ivoiriens.
Selon eux, «c’est un meurtre délibéré et direct d’un être humain dans la phase initiale de son existence. De ce fait, l’avortement ne peut jamais être une solution indolore pour la mère et pour l’enfant. Jamais, sous aucun prétexte, l’avortement ne peut être utilisé par une famille ou par l’autorité politique comme un moyen légitime de régulation des naissances. Il constitue un délit abominable et toujours un désordre moral particulièrement grave».
Cette farouche opposition religieuse n’est pas pour faciliter la tâche de la société civile. L’ONG internationale IPAS –qui milite depuis 1973 pour l’accès des femmes et des filles à un avortement sécurisé et légal– a fait de la vulgarisation du Protocole de Maputo son cheval de bataille.
Changer les mentalités
Pour ce faire, l’organisation a choisi de mettre à contribution la presse locale dans un projet de sensibilisation et d’information des Ivoiriens sur les conditions légales d’accès à l’avortement prévues par le Protocole de Maputo, qui demeure largement méconnu en Côte d’Ivoire.
Pendant douze mois à compter d’octobre 2020, le Réseau des professionnels des médias, des arts et des sports engagés dans la promotion de la santé et la lutte contre le Sida en Côte d’Ivoire (Repmasci), avec l’appui technique d’IPAS, devra publier pas moins de 1.600 articles (par voie de radio, télévision, presse écrite et en ligne) pour promouvoir le Protocole de Maputo et l’avortement médicalisé.
Pour Bintou Sanogo, président du conseil d’administration du Repmasci interrogée par Sputnik, «ce projet va assurément permettre un changement des mentalités en Côte d’Ivoire sur la question sensible de l’avortement».