Couvre-feu de 21h00 à 06h00 en Île-de-France et dans huit autres métropoles dès samedi minuit, demande de limiter les rassemblements à six personnes à l’extérieur comme à l’intérieur: telles sont les deux principales mesures annoncées par Emmanuel Macron le 14 octobre afin d’endiguer l’épidémie de Covid-19. Peu avant la prise de parole du chef de l’État, le gouvernement annonçait le rétablissement par décret de l’état d’urgence sanitaire.
Éviter d'avoir «des cercueils empilés à Rungis»
«On a perdu un mois» regrette, auprès de Sputnik, le médecin André Grimaldi, professeur émérite de diabétologie au CHU Pitié-Salpêtrière. Incapacité à faire respecter les gestes barrières aux jeunes ainsi qu’à appliquer la stratégie de «tester, tracer, isoler»: à ses yeux, ce couvre-feu nocturne est l’aveu d’un double échec de l’exécutif.
«Tout cela a échoué. Quand le Président de la République dit que l’épidémie reste sous contrôle, non, c’est parce qu’on perd le contrôle que l’on prend une mesure pareille», réagit le Professeur André Grimaldi.
Pour ce dernier, il faut sortir de l’ornière du seul indicateur du remplissage des lits de réanimation, ainsi que celle des comparaisons avec les voisins de la France, d’autant plus que la situation a radicalement évoluée depuis la première vague. «On n’a plus de marge de manœuvre, on ne peut plus faire appel aux régions», souligne le professeur de médecine.
Un point qu’évoquait également Emmanuel Macron lors de son interview, lorsqu’il soulignait que «le virus est partout en France, il n’y a pas de réserve cachée».
«Le gouvernement ne pourra pas tenir si vous avez des cercueils empilés à Rungis ou dans les jardins de la Salpêtrière», insiste André Grimaldi.
Or, vu la courbe que suivent les hospitalisations, il faut dès à présent éviter la submersion de services de réanimation et donc d’avoir à en venir au tri des patients. Une situation qui est particulièrement mal perçue par l’opinion.
«On sait que le taux de reproduction est supérieur à 1, donc que l’épidémie se développe, mais on n’a pas le chiffre réel», regrette André Grimaldi.
Pour lui, l’une des erreurs a été d’ouvrir les tests à tous plutôt que de les effectuer régulièrement sur des échantillons représentatifs de la population, ainsi que de cibler les gens symptomatiques et les cas contacts. «On aurait pu appliquer une politique “tester, tracer, isoler” que l’on n’a pas appliquée», résume-t-il. Une incapacité à mettre en place une politique de tests cohérente, aujourd’hui dénoncée au-delà du seul cadre médical ou politique.
Des coupes budgétaires qui avaient fait scandale en début d’épidémie, lorsque le directeur de l’ARS Grand Est avait estimé qu’il n’y avait pas de raison d’interrompre les suppressions de poste au CHRU de Nancy. Pour autant, fin juin, un amendement de l’opposition visant à geler les suppressions de lits de réanimation avait été rejeté par la majorité, qui y percevait une «tentative de court-circuiter […] les réformes menées par le gouvernement».
Un faisceau d’erreurs, d’échecs, qui conduisent donc à la mise en place de couvre-feu.
Bars, restaurants et salles de spectacles: «dommages collatéraux»
Principales victimes «collatérales» de la mise en place de ce couvre-feu, qui n’est autre qu’un «confinement généralisé de nuit» aux yeux du professeur André Grimaldi: les professionnels du monde de la nuit,
«Il écrase tout: il envoie au tapis tous les gens du spectacle, tous les restaurateurs qui faisaient bien, ainsi que tous ceux qui faisaient très mal et à qui on n’a rien dit» commente avec amertume le médecin qui estime que «le Président Macron a une responsabilité personnelle.»
Le médecin rappelle ainsi l’attitude du Président de la République après que Jean-François Delfraissy soit sorti de sa réserve début septembre pour enjoindre le gouvernement à prendre des «décisions difficiles». Le nombre d’hospitalisations de patients Covid-19 venait alors de repartir à la hausse.
Un retard dans les prises de décisions fermes face à l’accélération de la pandémie dans le pays qui n’est pas sans rappeler l’épisode du confinement. À l’époque, nombreux avaient été ceux qui avaient reproché au locataire de l’Élysée d’avoir pris trop tardivement conscience de la gravité de la situation.