Comment le vandalisme est devenu le mode d’action des nouvelles radicalités

Face à l’urgence climatique, des militants écologistes en appellent aux dégradations pour sensibiliser l’opinion. C’est le cas du collectif La Ronce, qui propose notamment de s’attaquer aux SUV en dégonflant leurs pneus. Dominique Duprez, directeur de recherche émérite au CNRS propose une analyse de ces modes de contestation.
Sputnik
«Nous ne porterons jamais atteinte à l’intégrité physique des personnes, mais les biens matériels, eux, n’ont pas de sentiments. Nous refusons d’appeler leur dégradation du gaspillage, quand on sait la dégradation que leur production ou leur utilisation provoque sur le vivant. On ne gaspille pas une arme quand on la détruit.»

Dans son manifeste, le collectif écologiste baptisé La Ronce appelle à créer un «joyeux bordel» pour sauver la planète. Dans une vidéo postée sur sa chaine YouTube, le groupe présente un tutoriel de cinq gestes à suivre pour devenir «une épine dans le pied des multinationales.»

Parmi ces actions, la Ronce propose notamment de dégonfler les pneus de SUV «de riches citadins»; de recouvrir les QR code qui permettent d’utiliser les trottinettes électriques en libre-service ou encore d’empêcher la vente de produits fabriqués par Monsanto dans les grandes surfaces. Des actions aux «risques légaux très limités», estime le collectif. Alors que des groupes comme Extinction Rebellion prônent des actions non violentes, d’autres militants préconisent ainsi le vandalisme pour faire avance leur cause.

«Risques légaux très limités»

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Interrogé par Sputnik, Dominique Duprez, directeur de recherche émérite au CNRS, membre du Centre de recherches sociologique sur le droit et les institutions pénales (CESDIP), note un basculement dans les modes de contestation. Il se réfère à la thèse doctorale en sociologie de François Brasdefer (Université de Lille) sur les atteintes à la propriété dans le monde du graffiti et du militantisme :

«Ce qui est intéressant dans son analyse, c’est que l’on n’est pas en face d’une lutte des classes à l’image des ouvriers au milieu du XIXe siècle qui cassaient leurs machines ou les outils qu’ils utilisaient pour se rebeller contre le patronat.»

Dorénavant, nous serions en présence d’une «montée en généralité qui place la propriété comme vecteur de gouvernementalité.» «C’est-à-dire, pour paraphraser Michel Foucault, des formes de conduite qui permettent l’insertion des populations sur un territoire et dans un système productif», analyse le sociologue Dominique Duprez.

«Le vandalisme est moins la remise en cause de la propriété en tant que telle, que les formes de domination qui sont liées à la propriété : telle voiture est perçue comme bourgeoise, car elle exprime le luxe, donc on peut la dégrader», décrypte le directeur de recherches au CNRS.

Serait-ce le signe que les méthodes traditionnelles de contestation ont échoué ou sont en perte de vitesse? Le chercheur rappelle qu’après la Seconde Guerre mondiale jusqu’au début des années 1970, des idéologies puissantes traversaient la société française, notamment autour du parti communiste. Cela contribuait à orienter la contestation vers des mouvements sociaux relativement structurés, que ce soit sous la forme de grèves ou de manifestations encadrées. Après mai 68, Dominique Duprez note des signes d’affaiblissement de cette idéologie, mais surtout un effritement des «appareils d’encadrement qui existaient aussi au niveau local surtout dans les mairies communistes.»

Dans La galère : jeunes en survie (Éd. Fayard, 1987), François Dubet avait déjà souligné à la suite d’une recherche de terrain que «les régulations traditionnelles se sont épuisées, les mécanismes d’intégration scolaire et professionnelle se sont durcis et surtout, la conscience ouvrière ne parvient plus à donner sens à l’ensemble d’une expérience de domination», rappelle le chercheur.

«Ce cadre social et idéologique n’existe plus. Il y a donc une sorte de délitement des mobilisations qui prennent maintenant ces formes plutôt “micro”, c’est-à-dire des groupes relativement fermés, voire complètement clos.»

Ces différents groupes se retrouvent désormais autour de marqueurs symboliques et sont réunis par un socle idéologique «marqué par l’écologie et des formes de radicalisme féministe dont Alice Coffin est l’archétype», avance Dominique Duprez.

«Dans son analyse, François Brasdefer constate que cela repose sur le rapport à la propriété et à la possession qui donne une certaine unité à ses groupes, qui sont par ailleurs hétérogènes et qui ne forment pas une communauté en soi», souligne Dominique Duprez.

Et notre interlocuteur de poursuivre, «c’est ce socle idéologique qui amène à ces formes d’atteintes aux biens, si on reprend le terme juridique, puisqu’en fait, toutes ces pratiques sont reliées à un seul article du Code pénal qui rassemble toutes les dégradations de biens d’autrui.»

Un rapport différent aux biens d’autrui

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Ce qui explique qu’aujourd’hui les formes de vandalisme sont très diversifiées: «elles peuvent prendre la forme de dégradations des vitrines de boucherie par des mouvements Vegan, de destruction de distributeurs automatiques de billets, notamment en marge des mouvements sociaux, des destructions d’outils utilisés par des agriculteurs non bio ou des actions du collectif la Ronce», énumère le chercheur.

Si «la catégorie “vandale” est loin d’être homogène», l’une des évolutions notables dans le profil des militants qu’observe le chercheur est la place des jeunes femmes, issues en général des classes moyennes et supérieures, dans ce qui peut apparaître comme des formes de vandalisme, à l’image des militantes des collectifs Collages féminicides.

«On voit vraiment l’empreinte des mouvements féministes radicaux sur le plan des territoires urbains et notamment à Paris. On a vu par exemple fleurir dans beaucoup de quartiers, comme dans le XIe des murs entiers couverts de feuilles A4, collées avec de la colle forte, reprenant notamment des slogans contre la violence contre les femmes au départ, mais qui prennent maintenant des connotations très sexistes contre les hommes en général.»

Est-ce que le recours à la dégradation de biens pourrait-il s’accentuer dans les années à venir? Pour Dominique Duprez: «rien n’indique que cela va s’éteindre du jour au lendemain, car on ne voit pas de force politique qui permettrait actuellement véritablement de prendre les choses en main et de canaliser ces mouvements de contestation.»

«On se dirige donc plutôt vers une diversification des mouvements sociaux souvent à une échelle relativement réduite, liés à des femmes et des hommes qui ont des prises de position par rapport à l’écologie, par rapport à la question du genre et des inégalités, avec malheureusement des accents nihilistes et l’absence d’un projet politique cohérent», conclut Dominique Duprez.
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