Pourquoi le chantier de l’autoroute qui doit relier Douala à Yaoundé, les deux principales villes du pays, fait-il débat dans l’actualité au Cameroun? La polémique autour de ce projet a refait surface au lendemain de la diffusion sur la chaîne France 24, le 8 octobre dernier, d'un reportage mettant en lumière les retards accusés dans l’exécution des travaux ainsi que des soupçons de corruption. Évalué à près de 7 milliards de francs CFA (soit 12 millions de dollars), le kilomètre cette autoroute est présenté comme l’un des plus chers d'Afrique.
«La banque chinoise, qui finance le projet à hauteur de 85 %, a cessé de le faire parce que Yaoundé ne présentait aucune garantie de remboursement», suggère le site Actucameroun.com, citant une source bien informée.
Tant le retard accumulé dans la livraison du chantier que les milliards de francs CFA que coûte le projet ont fait naître une vive polémique au sein de l'opinion.
Un kilomètre au coût «trop élevé»?
Dans un rapport publié en 2018, la Banque mondiale, qui projetait un coût final du kilomètre de cette infrastructure à 11 millions de dollars (près de 6,5 milliards de francs CFA), jugeait déjà ce montant «trop élevé» en comparaison avec d’autres projets africains du même acabit.
L’institution financière internationale a fait remarquer que le kilomètre d’autoroute revenait à 3,5 millions de dollars (environ 2 milliards de francs CFA) en Côte d’Ivoire et à 3 millions de dollars (près de 1,7 milliard de francs CFA) au Maroc. Dans le pays, ces montants astronomiques donnent le tournis et alimentent les conversations. Pour Jean-Bruno Tagne, essayiste camerounais, auteur notamment de Accordé avec fraude (Ed. Shabel, 2019), «même s’il faut prendre conscience que les coûts de pareils ouvrages prennent en compte des paramètres qui peuvent changer d’un pays à un autre, on peut quand même être étonné que la différence passe parfois du simple au double, voire au triple. C’est assez curieux».
«En six ans, on n’a pas réussi à réaliser ne serait-ce que la moitié de l’autoroute Yaoundé–Douala, longue de 196 km. C’est vraiment dommage. Mais cela n’étonne personne quand on connaît le rythme des grands chantiers dans ce pays», se désole l’auteur au micro de Sputnik.
«On a du mal à se souvenir du dernier grand chantier au Cameroun qui a été réalisé dans les règles de l’art et dans les délais sans anicroche. Prenez le stade Paul Biya d’Olembe: la pose de la première pierre a eu lieu en 2009. Dix ans plus tard, il n’est toujours pas achevé…», renchérit-il.
Un interminable projet?
En juin 2020, les retards accusés et les coûts engendrés par la construction de cette autoroute ont fait l’objet d’une question orale lors de la séance plénière du Sénat. En effet, les travaux du premier tronçon de cet axe (Yaoundé-Bibodi, 60 km), débutés le 13 octobre 2014 pour une durée de 48 mois, avaient déjà connu deux prolongations des délais de 12 et 14,5 mois.
Des modifications ayant conduit à «une énorme variation de la hausse du volume des travaux à réaliser» et qui ont fait revoir le coût du projet à la hausse. Le montant prévisionnel des 60 premiers kilomètres est ainsi passé de 338,7 milliards de francs CFA TTC (608 millions de dollars) à 423,6 milliards (761 millions de dollars).
Et comme si cela ne suffisait pas, les nombreux villageois affectés par ces travaux n'ont jamais été indemnisés et réclament encore justice.
Cette énième polémique a le mérite d’interroger, souligne Jean-Bruno Tagne, sur le suivi de l’ensemble des grands chantiers au Cameroun.
«Ce qui ailleurs se fait proprement et sans souci devient très complexe au Cameroun. Pourquoi? Il y a une bureaucratie excessive, une absence d’autorité sur tous ces chantiers. En Côte d’Ivoire, Alassane Ouattara est pratiquement le chef de ses chantiers, il y veille. Pareil au Rwanda avec Paul Kagame. Au Cameroun, qui contrôle quoi? Personne», se désole l’auteur.
Un communiqué du ministère des Travaux publics datant du 5 octobre a indiqué que le groupement français Sogea-Satom-Vinci/Razel-Fayat a été présélectionné pour décrocher le contrat de construction et d’exploitation de la seconde phase (136 km) de cette autoroute. Pour ce tronçon, le ministre espère éviter tous les retards accusés dans la première étape. Un pari qui est loin d’être gagné.