Le Cameroun à l’heure de Metoo

Le phénomène du viol connaît une croissance inquiétante au Cameroun. Des cas de plus en plus nombreux d’agressions sexuelles sont recensés et alimentent les journaux au quotidien. Des victimes ont décidé de briser le silence afin de sortir de ce cercle infernal.
Sputnik

Fin septembre, un fait divers ignoble a fait le tour des journaux et des réseaux sociaux au Cameroun. Minette Fotsing, 17 ans, a subi un viol collectif à Douala, la capitale économique du pays. Les résultats des examens effectués par les médecins indiquent des «pertes vaginales, des sécrétions vulvaires, une déshydratation» et la thèse d’une agression avec sodomie est également évoquée. La jeune fille est décédée au petit matin du mercredi 30 septembre, dans une clinique du 5e arrondissement de Douala.

Briser le silence

Le tragique destin de cette adolescente arrachée à la vie à la fleur de l’âge a provoqué, sur les réseaux sociaux, une nouvelle vague de témoignages de victimes de violences sexuelles.

​Elles ont décidé de briser le silence devant les nombreux appels lancés sur les réseaux sociaux par des influenceurs. Le Cameroun avait connu, en effet, une vague de libération de la parole dans la foulée du mouvement planétaire #metoo qui encourageait, en 2017, les femmes victimes d’agressions sexuelles à s’exprimer sur le sujet.

Contre le viol, un jeune écrivain camerounais publie «Coupez-leur le ziz!»
«Les témoignages qui me sont parvenus et qui ont fait l’objet de mon récent livre sur les violences sexuelles montrent clairement que nous vivons avec des victimes et des bourreaux sans jamais nous en rendre compte», souligne Felix Mbetbo, auteur du livre Coupez-leur le ziz!, paru en novembre 2019, florilège de dépositions anonymes recueillies auprès des victimes de viol.

«Les victimes sont partout avec nous. Ce sont nos mères, nos sœurs, nos voisines, nos copines, nos filles. Elles nous regardent parler mais elles savent que pour rien au monde, elles ne doivent parler de leur violence car elles seront tournées en ridicule et on va les faire passer pour des coupables», poursuit-il au micro de Sputnik.

Alors que les personnes agressées sont toujours plus nombreuses, certaines ont décidé de briser le silence. En septembre, Daphné, une star de la musique urbaine au Cameroun, a été la première. Elle a dit avoir subi un viol alors qu’elle n’était qu’une gamine au moment des faits.

Un témoignage longuement relayé sur les réseaux sociaux et qui a permis à certaines de raconter leur malheureuse expérience. Si la majorité préfère se murer dans le silence, d’autres, encouragées par des récits similaires, prennent de plus en plus la parole.

Des prises de parole qui ne sont cependant pas encore suffisantes. Selon l’Unicef, au Cameroun, 60% des filles entre 15 et 19 ans ont vécu des expériences d’agression sexuelle et 40% d’entre elles n’en ont jamais parlé. Le Réseau national des associations des tantines (Renata), une ONG de lutte contre les abus sexuels sur les femmes et les filles, n’a de cesse d’alerter sur le phénomène depuis fort longtemps.

Contactée par Sputnik, Dinabelle Mbuh, responsable du pavillon SOS Viol au sein de l’organisation, dit même «avoir recensé  plusieurs cas de viol, beaucoup plus qu’avant», au plus fort de la pandémie de coronavirus.

«La plupart des alertes nous parviennent du centre, du littoral, du septentrion et aussi des régions anglophones du Cameroun», précise-t-elle au micro de Sputnik.

De la nécessité de sensibiliser

Si les actes de viol suscitent une grande indignation à travers le pays, à la faveur des langues qui se délient sur les réseaux sociaux, au sein des familles camerounaises, en revanche, on a tendance à les taire dans un mutisme complice. De peur d’être stigmatisées, les victimes préfèrent souffrir en silence. Analysant les facteurs aggravants de ce phénomène social, le docteur Norbert Nadje, psychosociologue et enseignant à l’université de Douala, évoque «une société camerounaise à dominance phallocratique».

«Cet état de fait, en venant s’ajouter à la promotion du sexe, peut pousser des gens à l’obtenir aussi bien librement que par la violence», analyse-t-il pour Sputnik.

Face à ce fléau qui tue en secret de nombreuses femmes, les spécialistes prescrivent la sensibilisation et l’éducation. «Nous sensibilisons dans la communauté et les établissements scolaires, nous sensibilisons également les leaders, les parents, les enfants, les adolescentes et les jeunes», précise Dinabelle Mbuh du Renata. «Nous utilisons nos expériences et témoignages pour encourager les autres personnes agressées à en parler et dénoncer tous les acteurs de viol. Nous encadrons les victimes/survivantes en les accompagnant. Nous encourageons les parents à éduquer les enfants dès l’âge de 2 ans à connaître les parties de leurs corps», poursuit-elle.

En attendant de meilleurs résultats dans le registre de la dénonciation, le viol au Cameroun demeure un véritable fléau social. Un phénomène d’ampleur non négligeable, à en juger par les témoignages des unes et des autres. Mais paradoxalement, la société peine encore à lever le tabou sur une pratique qui ruine des vies en laissant les victimes à leur sort.

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