Les colonels du Comité national pour le salut du peuple (CNSP) vont sans doute pouvoir respirer un tant soit peu après cinquante jours de gestion compliquée d’un pouvoir arraché le 18 août dernier à l’ex-chef d’État Ibrahim Boubacar Keïta (IBK).
Ce 8 octobre, le retour de captivité de l’opposant Soumaïla Cissé et de trois autres otages dont la Franco-Suisse Sophie Pétronin, en échange de la libération de plusieurs dizaines de présumés djihadistes, coïncide presque avec le démarrage effectif d’une transition accouchée aux forceps et fruit de nombreux compromis entre acteurs politiques maliens.
Ces événements, en particulier le cas Soumaïla, viennent surtout gonfler le stock de bonnes nouvelles accumulées par la junte ces dernières semaines.
«C’est une reconnaissance internationale de fait pour l’action des militaires. Qu’ils aient été nommément remerciés par le Président Emmanuel Macron et par les autorités italiennes est significatif de l’ampleur du coup ainsi réussi. La réception des otages libérés au palais présidentiel de Koulouba avant leur départ pour leurs pays respectifs normalise le pouvoir de la transition sur la scène internationale», explique à Sputnik Emmanuel Dupuy, de l’Institut prospective et sécurité en Europe (IPSE)
La formation d’un gouvernement de transition de 25 membres annoncé le 5 octobre dernier a immédiatement entraîné, le lendemain, l’annonce de la levée des sanctions économiques et financières prises contre le Mali par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) après la chute de l’ancien régime.
«Quelque part, la chance sourit aux militaires avec cette cascade de libération d’otages dont le processus remonte à bien avant le coup d’État du 18 août. Le fait également qu’ils aient bien reçu Soumaïla Cissé et les autres ex-captifs me semble important pour leur image et pour leur action. Là, c’est un vrai boulevard qui s’ouvre pour eux, mais il reste qu’ils se sont arrogés beaucoup de trop de pouvoir au sein de la transition», analyse pour Sputnik Alioune Tine, président du think tank panafricain Afrikajom Center.
Soumaïla Cissé va-t-il changer la donne politique?
Figure de proue de l’opposition malienne depuis plusieurs années, Soumaïla Cissé avait été enlevé le 25 mars dernier par des groupuscules djihadistes non identifiés dans son fief politique à Tombouctou, au nord-ouest du Mali. Il était alors en campagne électorale pour les législatives du 29 mars en même temps qu’une quinzaine de ses camarades de l’Union pour la République et la démocratie (URD), le parti dont il est le fondateur. Élu député au premier tour de scrutin, il n’était jamais réapparu en public en dépit des assurances que l’ex-chef d’État Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) avait données concernant sa libération.
La logique de normalisation qui profite à une transition où les militaires sont omniprésents pourrait même être accentuée par le retour de Soumaïla Cissé au cœur de la politique malienne.
«L’URD est la première force politique au Mali, elle va reprendre toute sa place dans l’opposition. En cela, son retour sur le devant de la scène est une mauvaise nouvelle pour beaucoup de partis politiques, et notamment pour les composantes du Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP) [au cœur de la contestation contre IBK pendant l’été 2020]. Le statut de principal challenger acquis par Soumaïla Cissé lors des derniers scrutins présidentiels et législatifs place d’ores et déjà l’URD en bonne position pour les élections générales de 2022», pronostique Emmanuel Dupuy.
Au-delà des bonnes nouvelles qui s’accumulent et de la tentation à capitaliser dessus qui peut animer les chefs militaires de la transition, les zones d’ombre grossissent concernant les contreparties, peut-être même financières, dont le Mali, voire la France ou l’Italie, ont dû s’acquitter pour obtenir la libération de tant de détenus.
Selon diverses sources, le nombre de djihadistes élargis à partir du mardi 6 octobre par les autorités maliennes serait de plusieurs centaines. Le gouvernement malien n’a pas confirmé l’information. Selon le journaliste Seidik Abba, «libérer un si grand nombre de djihadistes, c’est conforter les terroristes à poursuivre leurs recrutements pour mieux asseoir leurs objectifs». Ces dernières semaines, plusieurs attaques survenues au Mali ont été attribuées à des combattants présumés islamistes. Bien que certains experts préfèrent y voir le prélude à une paix durable.
«On ne libère pas un si grand nombre de djihadistes sans qu’il y ait derrière des perspectives réelles de paix entre le gouvernement malien et les groupes terroristes», a indiqué sur la chaîne France24 le spécialiste des questions africaines Antoine Glaser.