C’est la fin d’une attente qui durait depuis des mois pour la famille de Soumaïla Cissé et surtout la dissipation des derniers doutes qui terrassaient l’opinion après des informations sur sa libération annoncée depuis quelques jours par plusieurs sources. Enlevé le 25 mars dernier, il aura passé six mois en détention sans aucune preuve de vie.
Tout est parti d’un tweet de la Présidence du Mali posté à 18h55, heure locale, ce jeudi 8 octobre 2020. «La présidence de la République confirme la libération de M. Soumaïla Cissé et Mme Sophie Petronin. Les ex-otages sont en route pour Bamako.»
La joie exprimée sur la Toile s’est rapidement propagée sur le terrain. À Badalabagou, quartier résidentiel de la capitale et qui abrite le siège de l’URD (Union pour la République et la démocratie) –le parti politique de Soumaïla Cissé–, c’est une foule en liesse qui l’attend.
À 19h45, devant l’entrée du siège du parti, des gadgets à l’effigie du héros du soir sont en vente. On se les arrache comme des petits pains. «Il va atterrir dans 40 minutes», lance un jeune homme, visiblement très content. «Non, l’avion vient de décoller, ce n’est pas sûr qu’il soit là aussi vite», renchérit son compagnon. Mais cela ne diminue son ardeur. Il décroche son téléphone et confirme à un interlocuteur qu’il est bien au bureau du chef de file de l’opposition et l’invite à le rejoindre.
On apprend quelques instants plus tard, selon une source proche de la famille, que l’avion de l’armée de l’air du Mali, qui transportait les otages depuis leur lieu de détention dans le nord du pays, atterrirait à 22h30 à Bamako.
«Libéré dans ces conditions, ça lui donnerait une chance (dans l’optique des élections à venir, dans 18 mois) puisqu’il fait déjà figure de héros, en quelque sorte, après ces mois de détention. Il pourrait passer pour quelqu’un qui a été victime d’une mauvaise gouvernance sous le régime d’Ibrahim Boubacar Keita [qui a maintenu le scrutin législatif en dépit de l’enlèvement de son principal adversaire]. Cela peut lui donner une longueur d’avance au sein de la classe politique», prédit même le politologue Boubabar Bocoum au micro de Sputnik avant l’arrivée de l’homme politique.
Entre-temps, les rues riveraines du domicile de l’opposant n’ont cessé d’accueillir des sympathisants. Impatients, ces derniers ont décidé de se rendre directement à l’aéroport pour rejoindre un autre groupe qui y est déjà. Rapidement, un convoi démarre en trombe. Direction l’aéroport international Modibo Keita. Il est 20h30.
Accueilli comme le Messie par la foule
Devant le domicile de Soumaïla Cissé, un grand rassemblement se prépare. Des jeunes klaxonnent et font résonner des vuvuzelas. Rapidement, des policiers se mettent devant les entrées de la maison et tout nouveau véhicule entrant dans cette rue est contrôlé.
L’avion atterrit sur le tarmac plus tôt que prévu, aux environs de 22h. Rapidement, une vidéo de Soumaïla Cissé, vêtu d’un boubou blanc, enturbanné et en masque, dans les bras de son épouse fait le tour de la Toile. À quelques kilomètres de l’aéroport, devant le domicile du président de l’URD, la vidéo ravive la joie. Les vuvuzelas reprennent de plus belle, des jeunes avec des drapeaux du Mali et des banderoles à l’effigie de l’ex-otage s’époumonent. La foule s’épaissit et rapidement, la voie est totalement occupée. Tous les véhicules de passage se prêtent également à la liesse générale. C’est l’euphorie totale. Elle ne baissera pas jusqu’à l’arrivée du «champion», comme l’appellent les siens.
Soumaïla Cissé se tient debout dans sa voiture et salue la foule. Il est 23h32. «Cissé! Cissé! Cissé!», scande l’attroupement. Jeunes, vieux, femmes, enfants, tout le monde y va du sien. L’émotion est à son comble. Soumaila Cissé continuera à saluer longuement la foule sur l’esplanade de son étage avant de s’éclipser.
«Je suis très heureux d’être là. J’ai passé six mois sous un climat des plus austères, dans des conditions de vie très difficiles dans le Grand Sahara, dans un isolement quasi permanent. Mais je dois avouer que je n’ai subi aucune violence, ni physique, ni verbale. Aujourd’hui, le propos c’est de remercier les nouvelles autorités maliennes», précise Soumaïla Cissé dans une déclaration officielle à la présidence de la République.
Six mois plus tôt
À la tête d’une délégation de 16 personnes comprenant des membres de son parti et se rendant à Koumaira, dans la région de Tombouctou au nord du Mali, Soumaïla Cissé et ses accompagnants ont été attaqués et enlevés le 25 mars dernier entre 16h et 17h par des hommes armés.
Un groupe de cinq personnes, dont deux blessés par balles, a été libéré quelques jours plus tard. La dépouille du garde du corps de Soumaïla Cissé a été remise à sa famille.
Un communiqué signé du président de la cellule de crise, Ousmane Issoufi Maiga, précise que la libération a été obtenue grâce aux efforts conjugués des services de renseignement, des forces armées et de sécurité, des partenaires du Mali et de la cellule de crise. Alors que l’enlèvement n’avait pas été revendiqué, le communiqué révèle qu’il était l’œuvre de filiales du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM)*. Trois autres ex-otages, dont Sophie Petronin, une humanitaire française, et deux Italiens (un touriste et un prêtre) ont également été libérés.
Kidnappé alors qu’il commençait à battre campagne pour les législatives de 2020, il retrouve sa liberté dans un pays frappé par un coup d’État le 18 août et qui est en train d’asseoir des institutions de transition pour organiser des élections et tourner la page vers un nouvel avenir.
*Organisation terroriste interdite en Russie.