«Ce n’est pas un acte de repentance ou de réparation, ni une condamnation du modèle culturel français», mais bien le début d’un «nouveau chapitre du lien culturel entre la France et l’Afrique», a affirmé Roselyne Bachelot.
La ministre de la Culture a plaidé le bien-fondé de la restitution de biens culturels au Sénégal et au Bénin, qui fait l’objet d’un texte de loi débattu ce 6 octobre à l’Assemblée nationale. Deux articles législatifs qui permettront la remise au Bénin de 26 pièces du «Trésor de Béhanzin», ainsi qu’un sabre et son fourreau attribués à El Hadj Omar Tall, qui seront transférés au Sénégal. Refonder le partenariat culturel franco-africain, tel était le moto de l’engagement d’Emmanuel Macron en novembre 2017 à Ouagadougou, cité par Yannick Kerlogot, rapporteur LREM du projet de loi.
Opposé au «transfert de propriété», mais…
Un projet de loi qui fait grincer des dents. On lui reproche notamment de déroger au principe de l’inaliénabilité du domaine public, dont ces œuvres font partie, et d’ouvrir aussi la voie à une jurisprudence permettant au Mali, au Tchad, à Madagascar, à l’Éthiopie et à la Côte d’Ivoire de réclamer à leur tour des objets.
Vent debout contre cette initiative, Julien Volper, conservateur des collections ethnographiques du Musée royal de l’Afrique centrale (Tervuren, Belgique), auteur d’une note sur le sujet à l’Institut Thomas More, y voit même la marque du CRAN (Conseil Représentatif des Associations Noires de France), de son ancien président Louis-Georges Tin, mais également de la Ligue de Défense Noire Africaine (LDNA). Ce 1er août, cette dernière avait tenté de récupérer au quai Branly ces mêmes œuvres.
Appelant à «faire très attention», Julien Lacaze, président de Sites & Monuments, association de défense du patrimoine, est «totalement opposé» à ce projet de loi «en raison du transfert de propriété». Se déclarant attaché à l’inaliénabilité du domaine public, inscrite dans le droit français, celui-ci prévient de «l’effet d’entraînement» que ces restitutions pourraient susciter: «on ne sait pas où ça s’arrête». C’est le cas de la Grèce, qui demande régulièrement le retour des frises en marbre du Parthénon, exposées au British Museum de Londres.
Lacaze estime «très délicat» le fait de transférer de telles collections, même celles qui parfois ont été collectées par le biais de pillage et de butin de guerre. Et il pointe un second argument à propos de la préservation de ces mêmes œuvres dans leur contexte local:
«Très souvent, si ces œuvres n’avaient pas été collectées par les Européens, elles n’existeraient probablement plus aujourd’hui. Cette collecte a permis leur muséification et souvent ces œuvres étaient dans l’usage, donc exposées à l’usure du temps, aux termites, aux dégradations, aux vols, aux destructions. Paradoxalement, ce qui peut être perçu aujourd’hui comme le fruit de rapines ou de butin de guerre a permis de sauver ces œuvres.»
L’issue de la consultation parlementaire ne laisse guère de place au doute. Ces vingt-sept œuvres seront restituées prochainement à leur pays d’origine, mais selon Julien Lacaze, il faut s’assurer de leurs bonnes conditions de conservation dans les musées locaux, évitant tout «risque de conflit armé», ce qui pourrait provoquer la «disparition des œuvres, ce qui serait pire que tout».
… Favorable au dépôt
Son opinion est néanmoins nuancée sur la question. Le militant associatif considère ainsi «légitime» pour le pays d’origine de réclamer de telles œuvres. Il se déclare ainsi favorable au rapprochement de certains patrimoines emblématiques de leur pays d’origine pour «des raisons symboliques et contextuelles»:
«Je considère qu’un peuple ne peut pas être privé d’un certain nombre d’œuvres fondatrices de sa culture, de son identité […] On peut tout à fait comprendre que d’autres pays le revendiquent et souhaitent récupérer un certain nombre d’œuvres […] On ne peut pas demander à un pays de se développer, d’être maître de lui-même, s’il ne possède pas un certain nombre d’œuvres fondatrices de son art.»
C’est dans ce cadre qu’il souhaiterait à l’inverse que la France récupère des biens culturels disparus du territoire «qui sont à l’étranger et qui nous manquent en tant qu’éléments constitutifs de ce que nous sommes». Ainsi, durant la Révolution, il évoque «énormément d’œuvres», qui ont été vendues et qui manquent notamment au «château de Versailles». Selon Julien Lacaze, le cas du diamant «Bleu de France» de Louis XIV est tout à fait emblématique de cette logique. Il rappelle que celui-ci a été «volé en 1792 dans les collections nationales» et qu’il se trouve, aujourd’hui modifié, à Washington, à la Smithsonian Institution.
«Je pense qu’il faut explorer la voie des dépôts. C’est une façon intéressante de ne pas nier l’histoire des objets […] le fait que ces œuvres restent la propriété du pays dans lequel elles ont été exposées pendants longtemps ne me semble pas gênant.»
Une pratique qui pourrait être généralisée «sous l’égide et la garantie de l’Unesco», poursuit Julien Lacaze, institution qui dispose avec la liste du patrimoine mondial, «d’une expérience inégalée en matière de patrimoines transnationaux». Le dépôt au Louvre du diamant «Bleu de France», volé en 1792, lui permettrait d’être associé au «Régent» et au «Sancy», partageant tous trois une «histoire commune».