Que mijote le Président Alpha Condé avec la fermeture des frontières de la Guinée avec le Sénégal et la Guinée-Bissau intervenue le 27 septembre dernier? En l’absence d’explication officielle de cette mesure -néanmoins confirmée par les autorités administratives locales citées par divers sites d’information-, l’élection présidentielle guinéenne du 18 octobre prochain et la volonté des autorités de «sécuriser» le scrutin en leur faveur pourraient en être la cause. La présence d’une diaspora guinéenne, très importante dans ces deux pays, pourrait être un des facteurs déterminants de cette décision du fait de sa capacité à influencer l’issue du scrutin.
Alpha Amadou Baldé, secrétaire de la Jeunesse au Sénégal du principal parti d’opposition, l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), relate à Sputnik:
«C’est une histoire folle: nous avons mobilisé cinq gros camions remplis de matériel de campagne électorale destiné à être convoyé en Guinée pour nos militants et sympathisants. 400.000 tee-shirts, des casquettes et de multiples gadgets ont été commandés et livrés au Sénégal. Les deux premiers véhicules sont bien entrés en territoire guinéen après avoir rempli les formalités tant du côté sénégalais que du côté guinéen. Mais lorsque l’autorité centrale de Conakry en a été informée, les trois autres camions ont été bloqués.»
Aux postes-frontières entre les deux pays, les files de camions de plusieurs dizaines de commerçants sénégalais ou guinéens dont les contenus «n’ont rien à voir avec l’élection présidentielle» s’allongent, en attendant une issue du pouvoir à Conakry, déplore le jeune militant politique.
«Face à cette situation, des commerçants ont eu l’idée de passer par la Guinée-Bissau. C’est lorsque certains d’entre eux se sont tournés vers le poste-frontière de Bissau que celui-ci a été aussitôt fermé à son tour. Et la traque de notre matériel s’est même poursuivie à l’aéroport international de Conakry-Gbessia, où le chef de la douane a refusé de remplir les formalités habituelles pour un stock de 250.000 tee-shirts de notre parti», ajoute Alpha Amadou Baldé.
Une diaspora muselée
Pourtant, les quinze pays membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) sont pourtant signataires des règles relatives à la libre circulation sans entrave des personnes et des biens dans l’espace communautaire, rappelle notre interlocuteur. D’où les suspicions sur la mesure prise par Conakry.
Principal parti d’opposition, l’Union des forces démocratiques de Guinée est très bien implanté au Sénégal où l’électorat guinéen est quasiment devenu sa chasse gardée. Lors de l’élection présidentielle de 2015 remportée par Alpha Condé, son leader Cellou Dalein Diallo s’était imposé à Dakar avec «un score d’environ 90%», revendiquent ses partisans. Aujourd’hui, «Cellou», comme l’appellent ceux-ci, apparaît comme le plus sérieux adversaire du Président sortant au prochain scrutin. Mais il devra faire sans ses électeurs sénégalais.
«Je confirme que les Guinéens du Sénégal et d’Angola ne voteront pas (car) ils n’ont pas été enregistrés lors de l’audit du fichier électoral», avait annoncé fin septembre, sur des sites d’information guinéens, Aly Bocar Samoura, directeur de la communication à la Commission électorale nationale indépendante (CENI).
Avec un potentiel de plusieurs centaines de milliers d’électeurs, la communauté guinéenne du Sénégal aurait dû être une frange importante du processus électoral dans son ensemble. Son enregistrement n’aurait pas dû poser problème puisqu’un fichier, disponible depuis plusieurs années, existe.
Contestée de toutes parts, la candidature du chef de l’État sortant est l’objet de vives critiques, eu égard notamment aux violences qu’elle engendre. Publié ce 1er octobre, un rapport d’Amnesty International fait état de la mort de 50 personnes en moins d’un an de manifestations contre le troisième mandat du Président sortant. Ces protestations sont menées par le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), une plateforme qui regroupe des partis et associations opposés au «coup d’État constitutionnel» du Président Alpha Condé.