Les tribunaux et les cours d’Algérie ont été paralysés par une grève nationale des avocats mercredi 30 septembre et jeudi 1er octobre 2020.
Les faits remontent au jeudi 24 octobre, lors du procès en appel de l’homme d’affaires Mourad Oulmi, patron de l’entreprise Sovac -représentant en Algérie du constructeur allemand Volkswagen-, poursuivi notamment pour blanchiment d’argent dans l’affaire dite du «montage automobile». Durant l’audience, Abdelmadjid Sellini, bâtonnier d’Alger et avocat du prévenu, avait demandé au juge de reporter l’audience à samedi pour permettre à la défense de s’assurer de l’authenticité d’une série de documents.
Le magistrat a rejeté cette requête, évoquant l’indisponibilité du système de visioconférence durant cette journée, les anciens Premiers ministres Abdelmalek Sellal et Ahmed Ouyahia comparaissant à distance dans ce même procès. Ce refus a donné lieu à une altercation entre le magistrat et le bâtonnier. Sous le coup de la colère, Abdelmadjid Sellini a été victime d’un malaise et a dû quitter en urgence la salle d’audience.
Humiliation
L’incident a été vécu comme une humiliation par les avocats de la capitale. L’ordre des avocats d’Alger a décidé en représailles d’organiser, dimanche 27 septembre, un rassemblement de protestation devant le siège de la cour d’Alger et de suspendre toute activité judiciaire durant une semaine.
Me Moumene Chadi, avocat à Alger, explique à Sputnik que l’affaire du bâtonnier Sellini est «la goutte d’eau qui a fait déborder le vase». Selon lui, les relations entre les avocats et les magistrats se sont nettement détériorées depuis plusieurs mois. Une situation qui porte préjudice aux justiciables.
«Nos revendications sont liées aux conditions de la tenue des audiences. Nous constatons que les magistrats ne respectent pas les procédures. C’est valable autant pour les affaires liées au Hirak que celles de droit commun. Nous sommes arrivés à un point où nous ne pouvons plus travailler dans des conditions qui permettent de garantir les droits de nos clients», regrette l’avocat.
«Magistrats en retard de plusieurs heures aux audiences, audiences reportées à cause de l’indisponibilité d’un greffier, manque de respect des juges envers les avocats et les prévenus…» Me Moumene Chadi affirme que ce genre de situation est devenu le quotidien de la défense. Les juridictions de la capitale sont loin d’être une exception. Emboîtant le pas aux avocats d’Alger, les bâtonnats de Tizi-Ouzou, Béjaïa, Médéa et Blida ont également décidé de boycotter les audiences.
«L’affaire Sellini est très grave car au-delà de la personne, c’est le bâtonnier qui représente toute notre corporation qui a été humilié. Durant les audiences, de nombreux magistrats ont un comportement qui ne garantit pas une application rigoureuse et sereine du droit. Il arrive que le procureur sorte de la salle durant les plaidoiries ou encore que le juge demande aux avocats d’abréger leurs interventions. Dans certains cas, cela peut avoir de graves conséquences sur le cours de la procédure. Les magistrats ont tendance à oublier que c’est le cours de la vie de milliers de citoyens qui se joue lors des audiences», note l’avocate.
L’homme au mendjel
Pour les avocats algériens, le premier responsable de la dégradation de la relation avec les magistrats n’est autre que le ministre de la Justice, Belkacem Zeghmati. Marginalisé durant le quatrième mandat du Président Abdelaziz Bouteflika, il a été propulsé à la tête de la chancellerie par le général Ahmed Gaïd Salah. Il a été chargé de mettre en œuvre le «mendjel» (faucille en langue arabe), cette vaste opération qui a conduit à la traduction devant les tribunaux d’anciens hauts responsables et businessmen qui ont profité du système corrompu du Président Bouteflika.
«Nous espérons que la société prenne conscience de ce qui se passe et se détourne des futilités. Quand une société fait les éloges d’une faucille rouillée, je ne sais pas quelle justice elle cherche. Le symbole de la justice, c’est la balance et il en sera toujours ainsi, parce qu’elle pèse les preuves et les arguments pour trancher avec équité. Brandir de tels slogans, c’est reproduire l’image de la momie [Abdelaziz Bouteflika, ndlr] qui a détruit l’Algérie», a-t-il déclaré.
Mais pour les avocats, les magistrats ont eu le souffle court, ils n’ont pas réussi à poursuivre leur combat. «En fait, au début du Hirak les avocats et les magistrats avaient les mêmes revendications. Mais les magistrats ont très vite jeté l’éponge, ils n’ont pas pu aller jusqu’au bout de leur engagement pour l’indépendance de la justice», regrette Me Aouicha Bakhti.