L’assassinat crapuleux de Rahma Lahmar, 29 ans, secoue la Tunisie. Disparue le lundi 21 septembre dernier, elle a été retrouvée morte le vendredi 25 près d’Aïn Zaghouane, quartier de la banlieue nord-est de Tunis. La jeune femme a été découverte dans un fossé, sur le bord de l’autoroute qui mène à La Marsa.
Selon un communiqué du ministère de l’Intérieur, son corps portait des traces de violences. Des médias tunisiens affirment qu’elle aurait été violée.
Marche blanche
Le ministère de l’Intérieur précise que le meurtrier présumé de Rahma Lahmar a été arrêté le jour de la découverte du corps. Âgé de 25 ans, il a avoué avoir braqué la victime avec une arme blanche avant de l’assassiner et de prendre la fuite avec son smartphone. Il a affirmé avoir agi sous l’emprise de l’alcool. Le crime a provoqué un vif émoi au sein de la société et depuis, la question de l’application de la peine de mort, inusitée depuis 1992, a ressurgi.
Les membres de la famille et les amis de la jeune femme ont organisé, samedi 26 septembre, une marche blanche vers le palais présidentiel de Carthage pour exiger la condamnation à mort et surtout l’exécution de son meurtrier.
Comme dans de nombreux pays, le débat sur la peine de mort refait généralement surface à l’occasion de viols et de crimes violents contre des enfants ou des femmes. Ce fut le cas lors de l’enlèvement et de l’assassinat du petit Yassine, 4 ans, en mai 2016 puis, en août 2019, avec l’affaire du kidnapping et du viol de l’adolescente de Goubelat, village de l’ouest tunisien, dont la mère et la grand-mère sont mortes après avoir été violemment agressées.
Mais dans le cas de Rahma Lahmar, la situation a très vite pris une tournure politique. Lundi 28 septembre, lors d’une réunion du Conseil de sécurité nationale, le Président Kaïs Saïed s’est prononcé ouvertement pour l’application de la peine de mort.
«Celui qui a tué injustement une personne doit être condamné à mort, et le texte est clair là-dessus. Le coupable devra bénéficier de toutes conditions de défense, mais s’il s’avère qu’il a commis un ou plusieurs meurtres, je ne pense pas que la solution, comme le prétendent certains, est de ne pas appliquer la peine capitale», a-t-il dit sur un ton grave.
«Instrumentalisation politique»
Les propos du Président de la République ont été diversement appréciés. S’ils ont galvanisé les parties qui plaident pour la reprise des exécutions par pendaison, ils ont surtout provoqué la colère des Tunisiens opposés à l’application de la peine de mort.
Au nombre de ceux-ci, des militants des droits humains et surtout de la Coalition tunisienne contre la peine de mort (CTCPM) qui prône depuis 2007 l’abolition de la peine capitale. Dans une déclaration à Sputnik, Chokri Latif, son président, affirme que l’intervention de Kaïs Saïed est «impardonnable et inacceptable» et «qu’elle le place en marge du cours de l’histoire».
«Je dénonce l’instrumentalisation politique flagrante de ce crime odieux. Le Président de la République ne devait pas intervenir de cette manière. En sa qualité de professeur de droit, il sait très bien qu’il ne doit pas interférer dans la sphère de la justice. Il ne doit pas dicter aux magistrats ce qu’ils doivent faire. Il ne peut pas prononcer un verdict contre une personne alors que l’affaire est en phase d’instruction. Le Président de la République s’est institué en juge et a prononcé le verdict de la peine de mort», assure Chokri Latif.
Reniement des engagements
La peine capitale est inscrite dans deux articles du Code pénal tunisien: «Les peines sont: la mort (art. 5)»; «La condamnation à mort est exécutée par pendaison (art 7)». Elle est applicable dans de nombreux cas, notamment dans le cadre de l’article 201: «Est puni de mort celui qui commet volontairement et avec préméditation un homicide par quelque moyen que ce soit.»
«Depuis l’application du moratoire, la Tunisie vote systématiquement depuis 1992 en faveur de la résolution de l’Assemblée générale des Nations unies pour le moratoire universel sur les exécutions. Au mois de mars 2020, devant le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU à Genève, la délégation officielle tunisienne –qui était présidée par le ministre chargé des Droits humains– a déclaré que la Tunisie s’engageait à respecter le moratoire et à ouvrir un débat serein sur la question de l’abolition de la peine de mort. Cet engagement a été pris, il y a quelques mois, durant le mandat du Président Kaïs Saïed. En agissant ainsi, il renie les engagements internationaux et les acquis de la Révolution contre la dictature en matière de respect des droits humains et, notamment, du droit à la vie», affirme-t-il.
Dans cette affaire, le chef de l’État tunisien a-t-il réagi en père de famille? Le président de la Coalition tunisienne contre la peine de mort refuse d’y croire. «La Tunisie est une République, pas un système tribal dirigé par un chef de clan. Notre pays n’est pas un émirat du moyen-âge. À mon avis, il n’a pas réagi en père de famille, il a parlé en connaissance de cause en faisant référence à la charia et non pas à la Constitution», note Chokri Latif.
Selon lui, en agissant ainsi, le chef de l’État fait le jeu des «islamistes, des populistes et des syndicats de policiers». Mais aussi de plusieurs milliers de Tunisiens qui vont répondre présents, à en croire l’événement Facebook, à une manifestation prévue le samedi 3 octobre, dans la principale artère Tunis, pour n’exiger rien de moins que l’application de la peine capitale.