Légitimé par la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) après plusieurs mois de polémique liée à son élection controversée à la présidence de la Guinée-Bissau, Umaro Sissoco Embalo semble avoir définitivement pris ses repères. Aujourd’hui, il entend occuper toute sa place au sein de l’institution communautaire régionale. Il n’est cependant pas exclu qu’il tire les leçons d’une adversité qui a failli lui faire perdre un scrutin pour lequel la Cour de justice suprême l’a finalement déclaré vainqueur au détriment de Domingo Simoes Pereira du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert (PAIGC).
«Le Président Embalo n’a pas apprécié la position de certains pays de la Cedeao –dont la Guinée-Conakry et la Côte d’Ivoire– sur l’élection présidentielle de décembre 2019. Pour lui, Alpha Condé et Alassane Ouattara penchaient trop pour son adversaire du PAIGC, Domingo Simoes Pereira. Ceci explique peut-être qu’ils n’aient pas été invités aux côtés des cinq chefs d’État présents à Bissau le 25 septembre dernier pour les festivités du 47e anniversaire de l’indépendance de son pays», explique à Sputnik Maurice Paulin Toupane, chercheur à l’Institut d’études de sécurité (ISS) à Dakar.
À l’international, une politique de diversification plus affirmée de partenariats tous azimuts sur les plans économique et financier pourrait être engagée pour le reste d’un mandat qui s’achève en 2024. Considérée comme le dixième pays le plus pauvre au monde avec un PIB par habitant de 778 dollars pour une population d’environ 1,7 million d’individus, la Guinée-Bissau a besoin d’investissements étrangers massifs pour relever les défis du développement.
«Embalo pourrait même aller plus loin. Il a constaté que la plupart des États de la CPLP (la Communauté des pays de langue portugaise, qui regroupe neuf États membres, dont six africains) sont restés favorables au PAIGC, le parti historique qui a mené la guerre d’indépendance. Cette perception négative des rapports de forces au sein de la CPLP peut l’inciter à regarder ailleurs, hors du cercle naturel qu’est l’espace ouest-africain, en quête de nouveaux acteurs. Dans ce changement potentiel d’axe de coopération, la Turquie pourrait être un de ces partenaires», pronostique Maurice Paulin Toupane.
Invité d’honneur de la cérémonie de prestation du nouveau Président de la transition politique malienne le 26 septembre dernier, Umaro Sissoco Embalo veut développer des envies d’ailleurs pour la Guinée-Bissau. Le 10 septembre, Suzy Barbosa, sa ministre des Affaires étrangères, a signé avec son homologue turc Mevlut Cavusoglu un accord de coopération dans plusieurs domaines.
Ankara va ainsi édifier un nouvel aéroport international à Bissau et faciliter l’ouverture d’une desserte aérienne avec la compagnie nationale Turkish Airlines. Les entreprises turques ayant achevé la construction, au Sénégal, de l’aéroport international Blaise Diagne (AIBD) de Diass (à environ 45 km de Dakar) pourraient de ce fait bénéficier de ce marché d’infrastructure dans un environnement que la Cedeao a contribué à pacifier.
«Avant d’atterrir à Bissau, le chef de la diplomatie turque était passé à Dakar. Au regard des fortes relations économiques qui existent déjà entre le Sénégal et la Turquie, il est fort possible que le Président Macky Sall ait facilité l’établissement d’un axe de coopération Ankara-Bissau», souffle l’expert.
Le Président sénégalais est de, notoriété publique, un «parrain» actif mais discret de son homologue bissau-guinéen. Celui qui lui soufflerait à l’oreille plus que ses autres soutiens que sont Muhammadu Buhari du Nigeria et Mahamadou Issoufou du Niger. Une proximité et une amitié de longue date qu’Umaro Sissoco Embalo a traduites à sa façon en baptisant une artère de Bissau au nom de Macky Sall. Ce qui n’a pas été du goût de tout le monde.
«Cela me paraît une maladresse que de substituer un nom étranger à une avenue portant le nom d’un combattant de la guerre de libération nationale. Ce sera toujours mal perçu par les nationalistes et les associations d’anciens combattants», estime Maurice Paulin Toupane.
En interne, le nouvel homme fort de Bissau est en phase de consolidation de son pouvoir. Des manœuvres politiques ont permis au Mouvement pour l’alternance démocratique (Madem-G15), dont il est le vice-président, de devenir majoritaire à l’Assemblée nationale depuis juillet dernier alors que le PAIGC y régnait en maître. Ce changement notable a rendu possible la validation du programme de son gouvernement dirigé par le général Nuno Nabiam.