Troisième mandat au Sénégal: Macky Sall y pense-t-il «tous les matins en se rasant»?

Agenda caché pour 2024 ou souci de ne pas parasiter son dernier quinquennat? Chez le Président sénégalais Macky Sall, le «troisième mandat» est un véritable tabou dont l’évocation dans un sens ou dans un autre entraîne des représailles.
Sputnik

Après Abdoulaye Wade en 2012, Macky Sall pourrait être le prochain chef d’État sénégalais au cœur d’une polémique relative à son droit ou non de participer à une troisième élection présidentielle consécutive. Sa posture actuelle sème le doute sur ses véritables intentions, les avis contradictoires des juristes le confortant dans sa stratégie. Le Président sénégalais a en effet établi une doctrine à géométrie variable: côté pile, il bénit les opinions favorables à sa candidature en 2024; côté face, il punit les positions contraires.

Selon l’article 27 de la Constitution de mars 2016, «la durée du mandat du Président de la République est de cinq ans. Nul ne peut exercer plus de deux mandats consécutifs.».
Dimanche dernier, Aymérou Gningue, président du groupe parlementaire de la mouvance présidentielle, a relancé le débat sur la question en défendant la possibilité «juridique» pour l’actuel Président de briguer un troisième mandat de suite après ceux de 2012 et 2019.

«Macky Sall a déjà dit et redit son incapacité à faire un 3e mandat. Ce qui correspond à la lettre de la Constitution et est conforme à l’éthique qui doit l’habiter en tant que Président de la République. Dans le contexte actuel où le débat sur le 3e mandat est revenu au devant de la scène et où des voix s’élèvent, y compris dans son cercle le plus proche, pour affirmer que la Constitution, dans sa formulation, lui laisserait cette possibilité, la seule posture honorable attendue de lui est de dire à haute et intelligible voix qu’il ne sera pas candidat en 2024», plaide interrogé par Sputnik le Dr Cheikh Tidiane Dièye, économiste et membre actif au sein de la société civile sénégalaise.

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La règle du silence ou de la guillotine a fait des victimes de marque dans le camp présidentielle. La dernière en date remonte au début du mois de septembre quand le directeur général de la société nationale de transport public Dakar Dem Dikk a été limogé. Sur une télévision locale, Me Moussa Diop a affirmé que «le 3e mandat est un coup d’État constitutionnel». Une thèse similaire à la bravade du Président bissau-guinéen Umaru Sissoco Embalo à certains de ses homologues ouest-africains lors du sommet extraordinaire de l’organisation régionale Cédéao le 21 août 2020. En octobre 2019, le couperet avait atteint deux cibles: Sory Kaba, directeur général des Sénégalais de l’Extérieur qui avait osé parler du «dernier mandat» de Macky Sall et le ministre-conseiller à la présidence Moustapha Diakhaté qui s’était également exprimé contre un troisième mandat du Président.

​«Si le président Macky Sall n’avait pas d’agenda caché sur cette question précise, il y a longtemps qu’il aurait dissipé le flou qu’il entretient à dessein sur les intentions qu’on lui prête! Le fait de l’entretenir, tout en sanctionnant ceux de ses collaborateurs qui lui dénient le droit de solliciter un 3e mandat, prouve, à suffisance, qu’il y pense tous les matins en se rasant, pour paraphraser l’ex-président Sarkozy!», analyse pour Sputnik le journaliste et écrivain Moriba Magassouba.

Agenda caché ?

Selon Magassouba, cette stratégie de «liquidation» systématique des «opposants» au 3e mandat de l’actuel chef de l’État viserait à éviter la démobilisation des troupes et contrôler l’explosion des ambitions chez les «présidentiables» potentiels du régime, deux facteurs qui parasiteraient en fin de compte le quinquennat 2019-2024.

«Il n’y a qu’en Afrique où l’on retrouve encore des chefs d’État qui se cachent derrière la mal formulation d’articles de la Constitution pour revendiquer un mandat auquel ils n’ont pas droit ou de croire qu’il faut garder floues ses intentions pour ne pas démobiliser des troupes. En entretenant le clair-obscur sur cette question, le Président Sall donne du Sénégal l’image d’une démocratie mineure et infantilisée. Il a l’obligation éthique et la responsabilité politique de clarifier ce débat. Le nom du Sénégal ne devrait jamais être cité parmi les pays où ce type de coup d’État constitutionnel pourrait être possible», indique Dr Cheikh Tidiane Dièye.

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À plusieurs reprises, le Président sénégalais et son conseiller juridique et ex-ministre de la Justice, le Pr Ismaïla Madior Fall, ont assuré que «la Constitution du Sénégal est très claire sur la question du mandat du Président de la République et ne laisse place à aucune interprétation sur la possibilité d’un troisième mandat». Mais ces propos datent d’avant la présidentielle de février 2019 quand Macky Sall était en quête effrénée d’un second mandat. Car après cette échéance, le discours a changé. «Moi je pense que la Constitution est claire. En principe, c’est le deuxième et dernier mandat du chef de l’État», soulignait le Pr Fall dans le quotidien «Enquête» quelques mois après les élections. Avec «en principe», la certitude ne semblait plus être de rigueur…

​«Ceux qui parlent de cette affaire comme Aymérou Gningue [président du groupe parlementaire de la mouvance présidentielle, adepte d’une possibilité «juridique» d’un troisième mandat, ndlr] ne sont pas concernés. Il appartient au principal concerné, en l’occurrence le chef de l’État, de dire aux Sénégalais ce qu’il entend faire. Nous sommes en butte à une question d’ordre moral car le débat juridique n’en est pas un ici. Sous l’angle de la dignité, du patriotisme et de l’intérêt supérieur du Sénégal, je ne crois pas que le Président Macky Sall puisse briguer un troisième mandat en 2024», clame le Pr Mbaye Thiam de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, par ailleurs chroniqueur sur la chaîne emedia.

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Interpellé sur le sujet en décembre 2019 par des journalistes invités au palais de la République, le chef de l’État avait approfondi les incertitudes des Sénégalais, lâchant un laconique «Je ne dis ni oui ni non». Mais bien avant, deux éminents constitutionnalistes, les Pr. Jacques Mariel Nzouankeu et Babacar Guèye, avaient soutenu que l’absence de dispositions transitoires encadrant l’article 27 de la Constitution de 2016 peut être une faille ouvrant la porte d’un troisième mandat à Macky Sall. En d’autres termes, la nouvelle Constitution adoptée au cours du premier mandat (2012-2019) ne précisait pas si la nouvelle limitation disposerait uniquement pour l’avenir ou si elle pouvait avoir un effet rétroactif en «comptant» le mandat ainsi entamé. Mais la «jurisprudence du quinquennat» permettra peut-être de prédire les intentions présidentielles. Pourfendeur du septennat à la française, Sall s’était engagé en accédant à la présidence à adopter le quinquennat et à en faire application immédiate au mandat (de sept ans) en cours. Il «dut» toutefois y renoncer sur l’avis non conforme du Conseil constitutionnel. Celui-ci a décidé qu’il ne saurait y avoir rétroactivité en la matière. De là à envisager maintenant un 3e mandat, autant dire que Sall «revient de loin».

​Entre 2011 et 2012, la détermination de l’ancien Président Abdoulaye Wade à réussir la passe de trois présidentielles après ses élections victorieuses de 2000 et 2012, contre l’avis d’un grand nombre de juristes et de politiques, avait provoqué la mort d’une dizaine de manifestants à Dakar et à l’intérieur du pays. Macky Sall, opposant radical à l’époque, en était l’un des grands témoins aux côtés de la plupart de ses alliés d’aujourd’hui.

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