Kurdistan irakien: l’Amérique se retire du Moyen-Orient, mais y garde un pied-à-terre

250 millions de dollars de matériel militaire. C’est ce qu’ont donné les États-Unis aux autorités kurdes irakiennes ce 15 septembre. Est-ce seulement pour lutter contre les cellules restantes de Daech? Au micro de Sputnik, Olivier Piot, spécialiste de la question kurde et du Moyen-Orient, estime que c’est loin d’être la seule raison.
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Plus les GI’s américains partent du Moyen-Orient, plus les Humvees arrivent. Ce mardi 15 septembre, le chef du ministère des Peshmergas de la région du Kurdistan a annoncé que les États-Unis avaient engagé près de 250 millions de dollars pour l’aide à la sécurité de son ministère. Une aide qui comprendra des véhicules, des équipements de communication et des formations. Mais pas de soldats supplémentaires, bien au contraire.

Constamment trahis, les Kurdes parviendront-ils à l’indépendance, 100 ans après le traité de Sèvres?

«C’est un symbole tangible de notre engagement envers le peuple irakien et la région du Kurdistan irakien», a souligné Matthew Tueller, ambassadeur des États-Unis en Irak. Un effort financier considérable, d’autant qu’il s’ajoute aux 20 millions de dollars mensuels que les États-Unis accordent au gouvernement régional irakien pour payer les salaires des soldats peshmergas. Et si la menace de Daech* est toujours bien présente en Irak, le transfert continu de capacités militaires américaines aux forces kurdes en Irak ne peut être destiné qu’à mater l’insurrection djihadiste. Car après tout, les moyens déployés semblent trop considérables.

​Quelle est donc la stratégie derrière ce déploiement logistique toujours plus important, à mesure que les soldats quittent ce théâtre d’opérations? Sputnik France a posé la question à Olivier Piot, journaliste spécialiste de la question kurde et du Moyen-Orient, auteur de Kurdes, les damnés de la guerre (Éd. Les Petits matins).

Maintenir une présence humaine la plus réduite possible

Pour lui, la stratégie de Washington s’inscrit avant tout dans une forme de continuité:

«Cela fait maintenant dix ans que les États-Unis ont une stratégie de “pivot avec l’Asie”, tout en ayant une volonté de continuer à peser sur la géopolitique du Moyen-Orient, mais à moindres frais. Une stratégie bien résumée par la phrase d’Obama “no boots on the ground” [pas d’Américains sur place, ndlr], dans laquelle s’inscrit Donald Trump.»

En effet, elle n’a rien de nouveau, mais comme le note Olivier Piot, elle s’accélère à mesure que l’on se rapproche de l’élection présidentielle américaine. «On voit très bien que Donald Trump tente d’influencer la carte géopolitique de la région, mais en faisant monter ses alliés au front. Il n’a donc pas à payer le prix de soldats morts», ajoute-t-il. Un facteur qui compte énormément dans la balance électorale américaine.

Le retrait de 2.200 soldats américains d’Irak ce mois-ci n’est pas anodin. Et selon le spécialiste des questions kurdes, les deux parties trouvent leur compte dans cette stratégie.

Les troupes américaines se retirent d’Irak et d’Afghanistan, mais non du Moyen-Orient

Pour Erbil, «on est dans la continuité de ce pragmatisme qui caractérise le gouvernement régional du Kurdistan irakien. Qu’est-ce cela veut-il dire? Que les autorités kurdes sont prêtes à tous les accords possibles pour tenter de préserver leur autonomie au nord de l’Irak», rappelle Olivier Piot.

Un pragmatisme tel qu’ils ont même passé des accords avec la Turquie, rappelle Olivier Piot. C’est ce qu’il appelle le «pragmatisme patrimonial des Kurdes irakiens». Ce qui intéresse Erbil, c’est d’abord l’autonomie kurde irakienne, et ce, même si elle doit affaiblir, voire trahir, les mouvements kurdes en Syrie, en Turquie, voire en Iran. Ils se désolidarisent d’un mouvement «transkurde» ou «pankurde», et ce pragmatisme est la première chose qu’ils vendent aux Américains.

Les Kurdes irakiens, un rempart contre Daech*… et l’Iran

Après l’échec de la tentative d’indépendance de la région du Kurdistan irakien, cette dernière entend à tout prix sanctuariser son autonomie. Pour ce faire, ils se posent en rempart contre la menace djihadiste toujours présente, «mais pas que», explique Olivier Piot. Cette stratégie a un autre versant, qui a tout autant d’importance, sinon plus, aux yeux de Washington:

«Trump essaye de faire avancer le rapport de forces contre l’Iran dans la région. De ce point de vue, les Kurdes irakiens essayent de vendre à Trump l’idée que si le gouvernement à Bagdad est fragile, eux représentent un acteur régional solide sur lequel les Américains peuvent s’appuyer pour contrer l’Iran.»

D’autant que dans ce processus, les forces kurdes irakiennes consolident leur arsenal. C’est donc pour le moment un mariage qui fonctionne entre Erbil Washington.

*Organisation terroriste interdite en Russie

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