Les Français sont à nouveau majoritairement favorables à la peine de mort.
Toutefois, au-delà de ce énième retournement d’une opinion qui oscille d’une année sur l’autre autour des 50% –marquant la permanence d’un clivage profond–, l’élément le plus notable, comme le diable du proverbe, se cache dans les détails.
En effet, si les partisans du Rassemblement national tirent sans grande surprise le camp des pro-peines de mort vers le haut, rejoints cette année par Les Républicains –en voie de «poujadisation» pour leur intérêt toujours plus prononcé pour les thématiques régaliennes–, c’est à gauche que les anti-peine de mort n’ont pas répondu «présent». Plus précisément, à l’extrême gauche.
Rétablissement de la peine de mort: volte-face de l’extrême gauche
En effet, si l’an passé, les sympathisants du Parti communiste français (PCF) et de La France Insoumise (LFI), qui pèsent un cinquième du corps électoral tricolore, étaient seulement 8% à être favorables au rétablissement de la peine capitale dans le pays, ils sont 39% en 2020! Plus qu’un bond, une véritable volte-face pour cet électorat qui se caractérise habituellement par son refus de la sévérité pénale. Comment l’expliquer?
«Les classes populaires sont au contact de l’insécurité, de la criminalité et elles en souffrent infiniment plus que ceux qui se considèrent comme les élites et qui sont protégés dans leurs quartiers bien bourgeois et qui bénéficient des joies de l’entre-soi», répond franchement Jean-Louis Harouel à Sputnik.
Ce professeur agrégé de droit, auteur d’une vingtaine d’ouvrages, dont dernièrement Libres réflexions sur la peine de mort (Éd. Desclée de Brouwer), rappelle notamment la dichotomie entre le discours sur la peine capitale des élites du parti communiste à la fin des années 70 et l’opinion de sa base électorale: «dans la France de 1981, parmi les partisans de la peine de mort, il y avait énormément d’ouvriers, de communistes», insiste-t-il.
«L’abolition de la peine de mort a […] délégitimé les autres peines»
Ce qui frappe également dans le sondage de cette année, c’est que la progression en faveur d’un rétablissement de la peine capitale se constate aussi bien parmi toutes les sensibilités politiques que dans toutes les catégories socioprofessionnelles. Une première dans l’histoire de cette enquête d’opinion.
«Ce mouvement, c’est la prise de conscience d’une maladie, mortelle pour bien des innocents, qui frappe gravement la société française», assène Jean-Louis Harouel.
«L’abolition de la peine de mort a, par ricochet, délégitimé les autres peines», estime ainsi Jean-Louis Harouel, qui énumère la disparition des réelles peines de perpétuité, les remises et aménagements de peine, les libérations anticipées, sans oublier les vices de procédure qui font dérailler les instructions: «cela aboutit au fait que la Justice n’arrête pas de remettre et laisser en liberté des gens dangereux», fustige-t-il, rappelant notamment le récent cas de cette adolescente de 15 ans, tuée à Nantes par un pédocriminel multirécidiviste condamné à dix-huit ans de prison en 2005 pour treize viols et tentatives, mais libéré en 2016, sept ans avant la fin de sa peine.
«La peine de mort était la clef de voûte du système pénal. Sa suppression en 1981 a joué comme un effet déstabilisateur de tout l’édifice pénal.»
Pour autant, celui-ci ne porte pas un regard accusateur sur les juges eux-mêmes, estimant qu’un grand nombre demeurent «scrupuleux et désolés de l’état actuel du Code pénal». Si une responsabilité il y a, elle est avant tout portée par les politiques. Le professeur agrégé de droit rappelle la manière dont les partisans de l’abolition de la peine de mort ont par la suite employé les mêmes arguments, le «même discours humaniste» afin de «s’attaquer aux autres peines» qui depuis «sont ainsi grignotées dévaluées.»
«Il ne faut pas oublier que le Code pénal actuel a été préparé par Robert Badinter en s’inspirant de cette idéologie anti-pénale qui avait été développée au milieu du XXe siècle par le magistrat progressiste Marc Ancel, avec son école de la “Défense sociale nouvelle”, qui est en fait une renonciation de la société à toute défense contre le crime.»
Faudrait-il revenir sur cette vision du droit au regard d’un «ensauvagement» réel ou supposé? Là n’est pas la question pour Robert Badinter, tombeur de la peine de mort en France, lors d’une interview de LCI le 7 septembre. Il se refuse à rentrer dans la «querelle de mots» qui a récemment agité le microcosme politique. Pour l’ancien garde des Sceaux de François Mitterrand, la faute de cette explosion des violences quotidiennes revient aux parents, via le recul de l’éducation et du contrôle familial. Quant à la suppression de la peine de mort, c’est l’«un des rares progrès que l’humanité puisse accomplir sur elle-même» s’est-il félicité.
«Nous sommes en plein déni de démocratie»
En effet, si –au-delà des résultats de ce sondage annuel– les Français ont «traditionnellement toujours été» favorables à la peine capitale, estime Jean-Louis Harouel, celui-ci souligne la masse de traités que la France a signée tant au niveau européen (où l’abolition de la peine de mort est une condition pour être membre de l’UE) qu’onusien, et qui empêchent tout retour en arrière législatif sur le sujet.
«Il y a eu chez les politiques cette idée que la démocratie nouvelle manière, celle qui est fondée sur les dogmes de la religion des droits de l’homme, ne comporte pas de possibilité de retour en arrière sur la peine de mort. On est dans une démocratie qui a privé le citoyen de la possibilité, en élisant des députés favorables à la peine de mort, de faire voter le retour de la peine de mort.»
Toutefois, les textes ne sont pas immuables, rappelle le professeur de droit. Celui-ci estime que «tout est toujours possible à un homme politique responsable, qui s’en donne les moyens» et invite celui qui tranchera ce «nœud gordien» afin de «reprendre de la vigueur politique», à mettre fin au «gouvernement des juges» et à «ramener le Conseil constitutionnel au rôle qui avait été le sien en vertu de la Constitution de 58, avant le coup d’État qu’il a accompli».
Avoir un «vrai chef» en France «pour remettre de l’ordre», voilà un point de l’enquête d’opinion Ipsos/Sopra Steria sur lequel 82% des Français tombent d’accord.