Coronavirus: ces entreprises qui accumulent les milliards pendant que l’économie s’effondre

Un rapport de l’ONG Oxfam dénonce les «bénéfices exceptionnels» réalisés par plusieurs grandes entreprises durant la crise sanitaire au profit de leurs dirigeants et actionnaires. De nombreuses voix s’élèvent pour leur demander de contribuer financièrement au redressement économique.
Sputnik

Faire son beurre à l’heure du Covid-19. C’est en substance ce que montre un rapport de l’ONG Oxfam, habituée à dénoncer les inégalités dans le monde. D’après la confédération, qui regroupe vingt organisations caritatives indépendantes à travers la planète, «une poignée d'entreprises, essentiellement américaines, réalise des bénéfices exceptionnels pendant la crise, alimentant la fortune de leurs fondateurs et de leurs riches actionnaires alors même qu'une large partie de l'économie mondiale est encore à terre».

​L’ONG s’est notamment appuyée sur une base de données financières et a recensé trente-deux multinationales qui ont grandement profité de la crise, jusqu’à voir leurs bénéfices progresser de manière «spectaculaire». D’après Oxfam, elles vont cumuler en 2020 «109 milliards de dollars de plus que leur bénéfice moyen réalisé au cours des quatre années précédentes».

De «riches actionnaires»

Les géants américains de la technologie, les fameux GAFAM, tirent particulièrement profit de cette année de pandémie. Microsoft peut se targuer de quelques 19 milliards de dollars supplémentaire en 2020. Facebook et Google sont également bien lotis avec 7 milliards de plus chacun, quand Amazon et Apple engrangeront 6,5 et 6 milliards de dollars additionnels.

Pendant que des millions d’Américains plongent dans la précarité, les milliardaires s’enrichissent

Ces entreprises ont particulièrement bénéficié de la montée du Nasdaq, indice boursier américain regroupant les valeurs technologiques. Depuis le krach de mars, ce dernier a enchaîné les records. Même s’il a vécu de récentes turbulences, son cours au-dessus des 11.000 points est bien supérieur à son niveau d’avant crise. La politique monétaire ultra-accommodante de la Réserve fédérale américaine (FED), avec ses taux directeurs oscillant dans une fourchette comprise entre 0 et 0,25%, rend le coût de l’argent très faible. Cela permet aux investisseurs d’emprunter pour pas cher et de se ruer sur des actifs dont les prix ne cessent de gonfler.

Oxfam note qu’une «large partie» des bénéfices engrangés par ces compagnies qui ont su tirer partie de la crise ont été reversés «à de riches actionnaires», ce qui aurait pour effet d’alimenter les inégalités mondiales. D’après les données de Forbes, les vingt-cinq milliardaires les plus riches du monde ont vu leur richesse cumulée «augmenter de 255 milliards de dollars» entre la mi-mars et fin mai.

​Les patrons des géants américains de la technologie font bien sûr partie du lot. C’est notamment le cas de celui d’Amazon, Jeff Bezos, qui a profité de l’envolée du cours du mastodonte du commerce électronique pour voir, le 26 août, sa fortune personnelle dépasser la barre symbolique des 200 milliards de dollars. Une première dans l’histoire moderne. La somme est telle qu’il faut chercher du côté de personnages historiques pour trouver des précédents comparables, comme Mansa Moussa, l’empereur du Mali du XIVe siècle qui détenait près de la moitié des ressources mondiales d’or, et que l’historien américain Rudolph Butch Ware qualifie d’«homme le plus riche de tous les temps».

Des dividendes malgré de mauvaises performances

Derrière Jeff Bezos, qui a depuis vu son magot redescendre à 193 milliards de dollars, on retrouve deux autres figures de la Silicon Valley: Bill Gates, fondateur de Microsoft et heureux détenteur d’un pactole de 123 milliards de dollars, et Mark Zuckerberg, le célèbre boss de Facebook, riche de 104 milliards de dollars.

​Signe de l’euphorie en cours sur les marchés, la fortune de ces super-milliardaires, adossée à la valeur boursière de leur entreprise, évolue parfois dans des proportions saisissantes sur une très courte durée. L’exemple le plus récent est celui d’Elon Musk: le fantasque patron de Tesla et fondateur de SpaceX, notamment connu pour avoir voulu atomiser mars ou fumé un joint de cannabis en pleine interview, a vu l’action de Tesla perdre 21% à la bourse de New York le 9 septembre. Dure chute pour un cours qui avait augmenté de 500% entre janvier et août. Cette mésaventure boursière a fait fondre la fortune d’Elon Musk de 16,3 milliards de dollars. Mais qu’il se rassure, ce 10 septembre, il est toujours le quatrième homme le plus riche de la planète.

Le nombre de milliardaires a triplé en France en 10 ans, frôlant la centaine

Devant une telle opulence, Oxfam demande aux gouvernements de «taxer les entreprises qui ont réalisé des bénéfices exceptionnels pendant la crise». L’ONG estime qu’il est nécessaire de prendre «des mesures en faveur d'un partage plus équitable des richesses et des pouvoirs au sein des entreprises».

Oxfam dénonce également le comportement d’entreprises dont les performances sont en berne mais qui «continuent de verser coûte que coûte des dividendes à leurs actionnaires». L’ONG assure que c’est notamment le cas en France où, malgré des appels à la modération de la part du gouvernement, vingt-trois entreprises du CAC 40 ont décidé de verser des dividendes cette année.

Tout ce tableau est à mettre en rapport avec une situation économique catastrophique. D’après les projections du FMI, le PIB mondial devrait se contracter de 4,9% en 2020. Côté emploi, l’avenir s’annonce également sombre, comme l’explique l’OCDE: «L’édition 2020 des Perspectives de l'emploi de l'OCDE montre que, même dans le scénario le plus optimiste d’évolution de la pandémie, le taux de chômage dans l’ensemble des pays de l’OCDE pourrait atteindre 9,4 % au quatrième trimestre 2020, dépassant tous les pics enregistrés depuis la Grande Dépression.»

Le plan de relance du gouvernement inefficace?

En avril dernier, l’assureur-crédit Coface s’attendait à voir le nombre de faillites progresser de 25% dans le monde en 2020. La France ne fait pas exception: l’Hexagone, qui a vu son PIB accuser une chute record de 13,8% au deuxième trimestre, doit conditionner les aides de son plan de relance de 100 milliards d’euros «à la mise en place d'objectifs socio-écologiques pour les grandes entreprises», note Oxfam.

«Sans conditions, les aides publiques risquent de renforcer encore davantage la mainmise des actionnaires sur les choix stratégiques des entreprises, accroître la déconnexion avec l'économie réelle et retarder la transition écologique», explique Quentin Parrinello, porte-parole français de l’ONG.

Un raisonnement similaire à celui de l’économiste David Cayla et du politologue Thomas Guénolé, qui ont récemment critiqué le plan de relance français dans une tribune au journal Le Monde. Parmi leurs griefs, «le refus de faire contribuer les gagnants de la crise à la relance». Les auteurs assurent que «les effets asymétriques du confinement, le fait que certains secteurs ont été très peu affectés, voire ont bénéficié de la crise sanitaire, constituent l’angle mort du projet gouvernemental».

«Un plan de relance qui généralise les aides sans distinction entre les gagnants et les perdants serait non seulement injuste, mais surtout très inefficace», assurent-ils.
Discuter