En 2012, la dernière fois que Sergueï Lavrov était en Syrie, la situation du pays était bien différente. Elle était à l’aube de l’intensification d’une guerre à la fois civile et régionale, qui allait détruire les infrastructures du pays, faire plus de 250.000 morts et déplacer des millions de Syriens…
Le ministre russe des Affaires étrangères est revenu huit ans plus tard avec le vice-Premier ministre, Iouri Borissov. Mais où le pays en est-il? Alors que la guerre semble toucher à sa fin, Damas fait toujours l’objet de très pesantes sanctions internationales, en particulier venant de Washington, avec la loi César, un blocus économique qui empêche le pays d’entamer sa reconstruction. Elle est également frappée par une crise économique terrible, une corruption rampante et la crise du coronavirus et ses conséquences.
Comment donc interpréter le calendrier de cette visite? Qu’est-ce qui explique, en cette période plutôt calme d’un point de vue militaire, une visite du chef de la diplomatie et du vice-Premier ministre russes?
Rassurer de potentiels investisseurs sur la stabilité de la Syrie
Le premier élément de réponse –et le plus important– est économique. C’est un fait connu de tous, la Syrie est économiquement à genoux. Le rappel du Président Assad lors de cette visite de sa volonté d’étendre les accords économiques et commerciaux avec la Russie n’a d’ailleurs rien d’anodin.
C’est aussi ce qu’a évoqué en conférence de presse Iouri Borissov, indiquant la possibilité d’un futur accord visant à étendre la coopération économique et commerciale entre les deux pays, notamment dans le domaine énergétique. Il en espère la concrétisation avant la fin de l’année. Plusieurs dizaines de projets ont également été évoqués, particulièrement dans le domaine énergétique.
«La venue de Iouri Borissov est importante, car en tant que vice-Premier ministre, il a l’oreille de Vladimir Poutine, mais aussi parce qu’il a des compétences très étendues, notamment dans le domaine de l’énergie. Il s’agit pour Moscou de faire avancer plusieurs chantiers économiques en Syrie, notamment celui de l’infrastructure», analyse pour L’Orient-Le Jour Igor Delanoë, directeur adjoint de l’Observatoire franco-russe.
Surtout, la Russie s’impatiente d’obtenir son retour sur investissement en Syrie. Et pour cela, il faut que l’économie du pays tourne un minimum. C’est ce qu’explique à Sputnik Arthur Quesnay, spécialiste du Levant et co-auteur de l’enquête de terrain Syrie: anatomie d’une guerre civile (Éd. CNRS, 2016):
«Ce que visent les Russes avec cette visite officielle est essentiellement d’attirer des entreprises, de promouvoir un modèle économique qui contourne l’embargo des pays occidentaux. Il y a un besoin d’officialisation des relations pour ensuite nouer de vrais accords stratégiques sur le plan énergétique ou autre.»
Cela ne concerne même pas de potentiels investissements chinois ou autres, mais avant tout des Russes: «Ce n’est pas parce que l’armée russe est présente dans le pays que les investisseurs russes vont pouvoir y dépenser leur argent. Il faut leur donner des gages réels avant que ceux-ci y investissent des millions», poursuit le chercheur.
Des relations politiques Moscou-Damas altérées
De ce point de vue, la position de Bachar el-Assad est claire: «le gouvernement est déterminé à continuer à travailler avec les alliés russes pour mettre en œuvre les accords signés et pour assurer le succès des investissements russes en Syrie», a-t-il déclaré, selon les médias d’État.
Pour le reste, les deux délégations diplomatiques ont répété la nécessité de recouvrer l’entièreté du territoire syrien, ainsi que celle de parvenir à une solution politique, que ce soit concernant la région d’Idlib ou le Nord-est syrien, respectivement tenus par les rebelles et par les Kurdes. Pour autant, aucune avancée significative dans ce domaine n’a été annoncée.
Le chef de la diplomatie russe en a aussi profité pour tordre le cou aux rumeurs indiquant que la Russie utiliserait la Syrie comme tremplin pour des mercenaires prenant la direction de la Libye: «les rapports sur l’utilisation du territoire syrien par la Russie pour transporter des mercenaires en Libye ne sont basés sur aucun fait.»
Mais si les avancées les plus concrètes lors de cette visite concernent essentiellement le versant économique, c’est parce que les relations politiques ne sont pas au beau fixe entre les deux partenaires.
«La position russe vis-à-vis de Damas a évolué. Moscou reproche en partie au gouvernement Assad son refus de toute concession ou ouverture politique sur une éventuelle transition en interne.»
Mais la situation est telle que les deux acteurs ont crucialement besoin l’un de l’autre: Assad ne survivrait certainement pas sans l’aide russe et la Russie n’aurait probablement pas de retour sur l’énorme investissement qu’elle a réalisé en Syrie si Assad tombait. Il faudra donc, à un moment ou un autre, que l’un des deux lâche du lest politiquement.