«Ahmed», un nom plutôt original pour un éléphant. Cela viendrait des enfants de la localité qui l’auraient spontanément appelé ainsi.
À Guitry (220 km au nord-ouest d’Abidjan) et ses environs, tout le monde a entendu parler du célèbre pachyderme qui sillonne depuis un peu plus de deux ans les abords des villages. Chacun l’a déjà vu ou espère l’apercevoir un jour et petit à petit, des légendes commencent à se dessiner autour de l’animal. On lui prête une capacité intrigante à se déplacer en divers endroits assez éloignés les uns des autres en un temps record, qui contraste beaucoup avec la nonchalance avec laquelle il déambule généralement. Il aurait, par ailleurs, été autrefois un être humain, condamné à demeurer jusqu’à sa mort dans la peau d’un éléphant à la suite d’un sortilège qui a mal tourné.
Mais la réalité est que ce jeune mâle fait normalement partie d’un troupeau vivant dans le parc d’Azagny (d’une superficie de 20.000 ha, il est l’un des plus luxuriants des huit parcs que compte la Côte d’Ivoire), à environ 50 km de Guitry. Cependant, pour une raison inconnue, il semble affectionner les escapades solitaires.
Une chose est certaine, il s’est familiarisé au contact des villageois qui n’hésitent pas à lui donner à l’occasion de la nourriture. Les enfants adorent jouer avec lui, et lui aussi manifestement. À force de côtoyer les hommes, le mastodonte semble parfois en décoder leur langage et comprendre la plupart du temps ce que l’on attend de lui.
Tout va bien a priori, à ceci près qu’Ahmed se rend parfois coupable de certains actes qui en révoltent, voire en terrorisent plus d’un. En effet, il a à son actif plusieurs destructions de plantations et récoltes. De plus, il a la particularité de ne pas apprécier les engins roulants, en particulier les motos, dont il déteste le bruit.
Tous ces incidents font qu’à Guitry, il y a d’un côté ceux qui ont peur de l’animal et aspirent à une action rapide des autorités, et de l’autre ceux qui se délectent toujours de le voir et souhaitent qu’il demeure dans les parages.
«En réalité, Ahmed n’est pas agressif. Ici on l’aime bien et on est toujours fascinés de le voir. Mais il lui arrive de faire des bêtises, comme détruire les cultures ou charger les motos, vélos et voitures qui croisent son chemin. En réalité, ce n’est pas aux hommes qu’il s’en prend, mais à nos moyens de transport qu’il n’aime pas, on ne sait pas trop pourquoi», a expliqué à Sputnik Thomas, un témoin de l’incident du 2 août.
Pour ce villageois, l’agressivité grandissante d’Ahmed est une réponse normale à l’hostilité que lui témoignent, parfois à juste titre, certaines personnes. Malgré ses débordements, les autorités locales invitent les populations à ne pas lui faire de mal.
Sur les réseaux sociaux, les internautes ivoiriens qui découvrent, au gré des vidéos publiées par des témoins, les trépidantes aventures d’Ahmed, appellent les autorités habilitées à réagir avant que l’irréparable ne se produise tant du côté de l’animal que de celui des villageois.
Contacté par Sputnik, le ministère des Eaux et forêts évoque des mesures en cours.
«Au vu des débordements constatés ces derniers temps, il convient, en effet, d’agir», a déclaré Hermann Aman, chef du service communication du ministère des Eaux et forêts.
Et la première action engagée est d’assurer la sécurité des populations. À cet effet, «des mesures sont déjà prises», selon Hermann Aman. «Quant à Ahmed, c’est un animal sauvage sur lequel nous n’avons pas de droit mais qui a droit à notre protection. Nos agents déployés sur place ont pour mission de suivre et maîtriser ses allées et venues afin qu’il soit refoulé vers la forêt quand il s’approche trop près des villages», a-t-il déclaré.
Un symbole national menacé de disparition
L’éléphant est l’animal symbole de la Côte d’Ivoire. Ce pays en abritait autrefois l’une des populations les plus importantes d’Afrique de l’Ouest et était le centre d’un florissant commerce d’ivoire, qui est à l’origine de son nom.
Une étude menée au début des années 2000 met en lumière plusieurs facteurs qui expliquent le déclin continu de l’espèce. Ce sont, entre autres, les faiblesses institutionnelles (manque de coordination entre les organisations intervenant dans la gestion des éléphants, inefficacité des activités de surveillance...), la mauvaise administration des habitats (l’agriculture intensive empiétant toujours plus sur les aires protégées), l’existence d’un marché national de l’ivoire et le braconnage.
En 2018, les autorités ivoiriennes ont entrepris de doter le pays d’une loi sur la conservation de ce pachyderme, pour «des actions cohérentes, efficaces et complémentaires afin de favoriser la reconstruction des effectifs des espèces d’éléphants et restaurer leurs habitats en vue de garantir à long terme leur sauvegarde démographique et génétique».