Christian Estrosi ne fait-il que défendre ses intérêts personnels, se plaçant pour 2022, ou a-t-il un coup d’avance sur la recomposition politique qui s’annonce? Le maire de Nice a en tout cas le mérite d’annoncer la couleur, dans un entretien donné au Figaro le 1er septembre: «Pour ne pas gâcher tous les talents de la droite, passons un accord avec Emmanuel Macron pour qu’il soit notre candidat commun à la présidentielle et que ceux-ci puissent participer au redressement de notre pays.»
Si l’ancien président de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur a ensuite tempéré son propos, en expliquant qu’il faudrait toutefois poser certaines «conditions» sur la base d’un «projet commun» pour que cette alliance voie le jour, plusieurs personnalités de la droite dite républicaine sont immédiatement montées au front pour contredire M. Estrosi. Parmi celles-ci, Daniel Fasquelle, trésorier des Républicains, qui lui a répondu sur Twitter:
«Ce n’est pas le moment, en pleine rentrée scolaire et en pleine crise du Covid et alors que la droite se reconstruit, de laisser entendre qu’Emmanuel Macron pourrait être notre candidat. Macron n’est pas le candidat naturel de la droite. Nous avons nos talents.»
Le maire du Touquet soutient d’ailleurs publiquement François Baroin et pousse pour une candidature du maire de Troyes, même si celui-ci ne s’est pas encore déclaré officiellement. Ce qui n’a pas empêché ce dernier de réagir à son tour aux propos de M. Estrosi, dans Le Parisien du 2 septembre: «Sur le fond, on n’aurait pas fait la même politique [qu’Emmanuel Macron, ndlr], ultra technocratique, centralisatrice. On n’aurait pas eu la même politique fiscale ni sur les APL. On ne se serait pas obstinés sur la taxe carbone et on n’aurait pas eu les Gilets jaunes.»
Des LR vent debout contre un ralliement à Macron
Du côté de l’aile droite du parti, on ne cache pas non plus son agacement vis-à-vis de l’initiative de Christian Estrosi. Laurance Trochu, présidente du mouvement conservateur Sens commun, affilié aux Républicains, considère que le maire de Nice ne représente que lui-même:
«Christian Estrosi, merci de ne pas associer la droite à vos plans de carrière personnels. Vous y trouvez votre intérêt, mais pour la France c’est mortifère.»
Les mots sont encore plus forts chez Eddy Casterman, qui a succédé à Erik Tegner à la tête de «Racines d’avenir», un mouvement qui compte de nombreux membres de LR dans ses rangs et qui défend une ligne conservatrice assumée:
«Christian Estrosi est une girouette et un opportuniste. Cela n’est pas nouveau, tout le monde le sait. Quand le sarkozysme était porteur, il était sarkozyste, maintenant que c’est le “macronisme” qui est au pouvoir, il est macroniste», a-t-il déclaré au micro de Sputnik.
La déclaration dérangeante de Christian Estrosi intervient au pire moment possible pour Les Républicains, alors qu’aucun candidat ne se dégage véritablement pour représenter le parti en 2022. Outre François Baroin, peu pressé, Xavier Bertrand, président de la région Hauts-de-France, qui a officiellement quitté le parti en 2017, n’a quant à lui rien caché de ses ambitions présidentielles, affirmant «se préparer» pour 2022 dans la presse régionale cet été.
Un parti en perte de repères
L’embouteillage de candidatures à droite risque de compromettre les chances de victoire pour le camp républicain, puisque Valérie Pécresse, Bruno Retailleau ou encore Guillaume Peltier comptent parmi les prétendants possibles à l’élection présidentielle.
Mais, au-delà des querelles partisanes et des conflits d’ego, la vraie question que soulève Christian Estrosi est peut-être plus intéressante qu’elle n’en a l’air: en effet, quel espace politique reste-t-il à la droite républicaine «traditionnelle», coincée entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen? Comment Les Républicains, dont une partie des membres les plus influents a rejoint le gouvernement –Édouard Philippe, Bruno Le Maire, Gérald Darmanin, Jean Castex, pour ne citer qu’eux– peuvent-ils se différencier de la politique menée par M. Macron?
L’absence de «ligne claire» chez les Républicains semble en tout cas être ce qui fait actuellement défaut au parti, si l’on en croit Eddy Casterman:
«Le problème de LR aujourd’hui, c’est que le parti n’a plus de ligne politique et idéologique précise et identifiable. On pouvait reprocher ce qu’on voulait à Laurent Wauquiez, mais il faut néanmoins admettre que lui avait réussi à recréer un mouvement qui avait une ligne politique claire. Aujourd’hui, les mots d’ordre semblent plutôt être mollesse et indécision. Quand on veut plaire à tout le monde, on ne plaît à personne. Cette tentative de conciliation impossible empêche d’avoir des idées.»
Une analyse sévère, corroborée par un ancien proche de Nicolas Sarkozy, qui a souhaité garder l’anonymat afin d’éviter d’alimenter les sempiternelles querelles de parti:
«Aujourd’hui, la droite n’existe plus. A-t-elle d’ailleurs seulement déjà existé? En tout cas, elle n’a jamais été au pouvoir. La droite dite conservatrice n’a aucune chance d’arriver au pouvoir, et l’espace politique pour ces “républicains” autoproclamés est extrêmement réduit.»
En l’état actuel des choses, les perspectives ne semblent donc guère réjouissantes pour le parti présidé par Christian Jacob. En admettant que l’appel de Christian Estrosi draine une partie des élus LR du côté de LREM, entérinant l’exil des membres libéraux et centristes vers Emmanuel Macron, que resterait-il à l’ancienne UMP?
Quel avenir pour Les Républicains?
Eddy Casterman veut croire en l’avenir du parti, à condition d’assumer un virage résolument tourné à droite:
«L’avenir des Républicains doit s’ancrer auprès d’un électorat qui a malheureusement perdu confiance en la droite à cause des promesses non tenues de Nicolas Sarkozy, mais qui attend qu’on en finisse avec le laxisme dans la société et l’étouffement par la fiscalité.»
Et le jeune homme de plaider pour une nouvelle synthèse politique, qui se serait émancipée du «jugement de la gauche»:
«La droite française devrait s’inspirer de la mutation des Républicains américains vers le “trumpisme”, c’est-à-dire en une droite plus populaire, intransigeante et qui respecte ses engagements. Pour faire simple, la droite doit être l’alliance des Gilets jaunes, du poujadisme et de la Manif Pour Tous. Mais ça, c’est vrai, peu de cadres l’ont compris.»
Un scénario qui accréditerait encore davantage la thèse de la bipolarisation de l’électorat, défendue notamment par le politologue Jérôme Sainte-Marie dans son dernier ouvrage «Bloc contre bloc» (Éd. Cerf): les progressistes contre les populistes, mais peu de place pour le reste. Eddy Casterman n’écarte pas l’hypothèse:
«Si la droite perd cette élection, cette élection va perdre la droite et le parti va exploser. L’ambiguïté n’est plus possible. Donc, soit on choisit une ligne et un champion capable de l’incarner et de la porter maintenant, soit Les Républicains mourront définitivement et cèderont la place à LREM et au RN.»