«Fous le camp bougnoule si tu ne veux pas brûler comme une merguez.»
Voici le genre de menaces que Mohamed Boudjellaba, maire de Givors, a eu la désagréable surprise de lire dans une lettre anonyme qui lui a été adressée. L’édile à la tête de cette commune de 20.000 habitants près de Lyon a décidé de publier des extraits du courrier sur Twitter.
Des écrits d’une grande violence: «la guerre tu vas l'avoir», «on sait encore se servir d'une mitraillette» ou encore «tu sais comment ça fait une bombe dans une habitation, ça fait boum».«En tout, quatre pages de calomnie, de haine raciale et de menaces», résume le maire qui a profité de la vague verte pour accéder à la tête de la ville fin juin sous l’étiquette DVG-EELV.
De nombreux maires agressés depuis janvier
Mohamed Boudjellaba a pu compter sur un fort soutien politique. Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin s’est dit «écœuré» par des «propos insupportables»: «S'en prendre à un élu c'est s'en prendre à la République. La haine n'a pas sa place dans notre société.» Même son de cloche du côté du Garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti qui a adressé son soutien à son «compatriote» et rappelé que ce dernier avait porté plainte:
«Quatre pages de répugnances non signées. Une enquête est ouverte pour retrouver cet "anonyme" et le présenter à la justice.»
Christiane Charnay, rivale communiste de Mohamed Boudjellaba a quant à elle condamné un courrier «infâme» et assuré le maire de son soutien. Même chose du côté d’Antoine Mellies. Le membre du Rassemblement national a qualifié la lettre d’«inacceptable».
Cette affaire intervient dans un contexte de multiplications des menaces et agressions contre les maires de France. La liste est impressionnante. Le 27 juillet, Williams Dufour, maire de la commune rurale de Miribel-les-Échelles en Isère a été agressé alors qu’il demandait à des jeunes d’arrêter de tirer des feux d’artifice sur la place du village. Il a alors violemment été pris à partie en compagnie de deux de ses conseillers. Frappé au visage et légèrement brûlé à la main, l’édile s’est vu prescrire sept jours d’incapacité totale de travail (ITT). Trois mineurs ont été mis en examen pour «violences aggravées».
«Aujourd’hui, les agressions subies par les élus locaux ne sont plus marginales mais se multiplient sur l’ensemble du territoire: insultes verbales, coups et blessures, violences diverses, harcèlement, menaces souvent anonymes via les réseaux sociaux… Il ne s’agit pas là de simples incivilités mais de réels délits», explique au HuffPost Jean-Louis Costes, président Les Républicains de Lot-et-Garonne et maire de Fumel.
Il est environ 22h30 dans la soirée du 7 août quand Gérard Dué, maire de Croisilles, intervient dans un ensemble de logements sociaux de sa ville. Des individus sont alors responsables de nuisances et écoutent de la musique à fort volume. «Quand je suis arrivé, j’ai bloqué la voiture qui posait problème en me garant devant», raconte le maire à La Voix du Nord. D’après l’édile, l’individu «n’a pas le permis et pas d’assurance». Gérard Dué lui demande donc de lui donner ses clefs et de ne pas repartir. C’est là que la situation dérape: «Ça ne lui a pas plu, alors il m’a poussé, les deux mains sur la poitrine.»
Résultat: une chute, un poignet luxé et des douleurs à un coude et dans le dos pour l’élu de 69 ans qui a décidé de déposer plainte. Une incapacité temporaire totale (ITT) de quatre jours lui a été délivrée.
«Ma femme me dit de ne pas y aller, mais je considère que tout le monde doit se serrer les coudes. On doit se coordonner avec la gendarmerie, les citoyens, pour faire cesser ce genre de comportement. Je n’accepte pas qu’une petite minorité démolisse tout le travail qu’on fait pour proposer des logements sociaux aux gens», explique le maire Gérard Dué à la Voix du Nord.
Le 5 août 2019, Jean-Mathieu Michel, maire de Signes dans le Var, a perdu la vie. Il a été mortellement renversé par une camionnette dont il souhaitait verbaliser les occupants. L’édile venait de demander au conducteur et à son passager de ramasser des gravats déposés illégalement. Le drame a causé une grande émotion chez les maires de France. Un an plus tard, la situation semble s’être empirée.
«Le ministère de l’Intérieur a recensé plus de 200 agressions de maires et adjoints depuis le début de l’année. Les dépôts de plainte par les élus et les mains courantes se multiplient. Et après?», s’interroge Jean-Louis Costes.
Début août, l’agression du maire de Portbail dans la Manche a fait beaucoup de bruit. Et son issue a provoqué le courroux de bien des maires dans le pays. Francis D'Hulst, 70 ans, a été attaqué alors qu’il tentait de faire partir plusieurs jeunes individus qui avaient installé un campement sauvage à proximité de la plage. L’édile a été frappé au dos et à la nuque.
«Je suis grand-père de 13 petits enfants et je n'imagine pas une seconde que l'un d'entre eux puisse un jour frapper un homme âgé. Il m'a dit "fils de pute, ta voiture je vais la cramer". Je venais juste leur rappeler qu'ils devaient quitter les lieux et leur faire la morale car dans les herbes sèches, il y a la trace de deux feux de camp», a déclaré le maire à France 3 Normandie.
Au-delà de l’agression, c’est le traitement judiciaire de l’affaire qui a créé la polémique. Alors que le maire avait porté plainte, le parquet n’a infligé qu’un rappel à la loi à l’agresseur.
Le sénateur Les Républicains Philippe Bas a twitté sa colère: «Je suis consterné que sa plainte ait été classée sans suite après un simple rappel à la loi. L’État doit défendre ses représentants.» Ainsi a-t-il demandé au Premier ministre un «plan de sécurité pour les maires», rappelant que depuis janvier, plus de 230 maires ou adjoints ont été victimes de violence, contre 198 l'an dernier, à la même époque.
Un appel au gouvernement
«Le Président de la République Emmanuel Macron avait promis de veiller à ce que “face aux incivilités et à la désagrégation chez certains du sens de l’État et de la Nation, la réponse soit toujours ferme, exemplaire et sans complaisance”. Qu’en est-il? Les annonces ont été peu suivies d’effets, et les sanctions souvent insuffisantes», alerte Jean-Louis Costes.
«Il faut agir vite pour mettre en place une vraie protection des maires qui représentent l’autorité républicaine de proximité», ajoute-t-il.
L’agression dans la nuit du 4 au 5 août de Philippe Becheau, maire de Saint-Philippe d’Aiguille en Gironde, a fait monter au créneau le Premier ministre Jean Castex et le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. L’édile a été victime de coups de la part d’un individu visiblement alcoolisé après qu’il ait demandé à un groupe de personnes responsables de tapage nocturne de baisser le volume de la musique. L’agresseur a écopé de 12 mois de prison dont six fermes pour violence aggravée avec interruption totale de travail supérieure à huit jours.
Jean Castex avait alors appelé la victime, lui faisant part de sa «totale détermination pour que tout soit mis en œuvre pour que les auteurs de cet acte odieux en répondent devant la Justice». «Agresser un maire, c’est s’attaquer à la République», a quant à lui déclaré Gérald Darmanin.
Des paroles auxquelles il devient urgent de joindre les actes comme l’explique Jean-Louis Costes sur le HuffPost:
«Aussi, il ne suffit pas de déclarer que “s’en prendre à un maire, c’est s’en prendre à la République”. Nous attendons du gouvernement qu’il entende l’inquiétude des maires et qu’il y apporte une réponse rapide et forte, en s’appuyant notamment sur les propositions formulées par Philippe Bas, le président de la commission des lois du Sénat.»