L’Union européenne soutient les Biélorusses. C’est en substance ce qui est ressorti du sommet extraordinaire des 27 et 19 août. Bruxelles a annoncé ne pas reconnaître les résultats de l’élection présidentielle du 9 août dernier en Biélorussie, remportée par le Président Alexandre Loukachenko avec 80% des voix. D’après l’UE, elles n’ont été «ni libres ni régulières».
Dans le détail, des sanctions seront prises à l’encontre «d’un nombre élevé» d’individus que l’Europe juge responsables des violences contre les manifestants qui se réunissent régulièrement par milliers depuis l’élection du 9 août afin de demander le départ du pouvoir en place. Fortement réprimées, elles ont déjà fait trois morts.
«L’Union européenne était obligée de procéder ainsi dès lors que Bruxelles ne reconnaissait pas les résultats de l’élection qui a donné vainqueur le Président Loukachenko. Cela était attendu car plusieurs chefs d’État européens, dont le Président Macron, avaient protesté contre les résultats de ce scrutin», explique au micro de Sputnik Gilles Lebreton, eurodéputé du Rassemblement national (RN).
L’exécutif européen a également annoncé une réallocation des ressources financières initialement destinée aux autorités biélorusses. Elles seront désormais dirigées vers «les personnes les plus vulnérables et la société civile». D’après la documentation européenne, l’aide de l’UE à la Biélorussie se monte à 30 millions d’euros par an. La somme de 53 millions d’euros y sera ajoutée.
«Deux millions d’euros pour venir en aide aux victimes de la répression et de la violence inacceptable de l’État. Un million d’euros pour soutenir la société civile et les médias indépendants et 50 millions d’euros au titre de l’aide d’urgence contre le coronavirus», a détaillé Ursula Von der Leyen, présidente de la Commission européenne.
«Accompagner une transition pacifique et démocratique»
Une décision «étonnante» pour Gilles Lebreton: «Nous avons assisté à une certaine précipitation dans le changement d’allocation des ressources financières destinées à Minsk. Ce paramètre est assez surprenant. Mais c’est loin d’être la première fois avec l’Union européenne.»
«Cette promotion de la société civile n’est pas nouvelle et m’effraie un peu. Il y a tout un discours que j’entends au Parlement européen et qui consiste à dissocier la société civile d’un État, de ses dirigeants même lorsqu’ils sont élus. Quoi que l’on puisse penser d’Alexandre Loukachenko, il a tout de même été élu», ajoute l’eurodéputé.
D’après le Belge Charles Michel, président du Conseil européen, «il ne s’agit pas ici de géopolitique, mais avant tout d’une crise nationale impliquant le droit des citoyens à choisir librement leurs dirigeants, à déterminer leur destin».
Bruxelles a entamé depuis quelques années un rapprochement diplomatique avec la Biélorussie qui se trouvait depuis longtemps dans une sorte d’isolement imposé par la communauté internationale. Un groupe de coordination a même été créé entre les deux entités politiques qui se réunissent régulièrement comme cela a été le cas les 17 et 18 décembre 2019 à Bruxelles. Ce rapprochement s’est accompagné de la levée par l’UE de la plupart des mesures restrictives et a mené à un vaste ensemble de coopération économique.
En janvier 2020 étaient signés deux accords entre l'Union européenne et la Biélorussie. L’un visant à faciliter la délivrance de visas et l’autre concernant la réadmission des personnes en séjour irrégulier. Dans un communiqué de presse, Bruxelles rappelait que «l'adoption par la Biélorussie de mesures concrètes pour respecter les libertés universelles, l'état de droit et les droits de l'Homme demeurera essentielle pour définir la politique de l'UE à l'égard de ce pays».
«L’Union européenne fait de l’ingérence dans les affaires internes d’un État comme elle en a l’habitude. Avant la crise du coronavirus, qui a un peu bouleversé son fonctionnement, le Parlement européen votait régulièrement des décisions de nature à s’ingérer ouvertement dans la vie intérieure des autres États. Cela fait six ans que je suis eurodéputé et cela fait six ans que je dénonce cette ingérence», analyse Gilles Lebreton.
Les sanctions et le soutien financier ne pourraient être qu’une première étape. Ursula Von der Leyen a d’ores et déjà assuré que l’UE était prête à «accompagner une transition pacifique et démocratique au Bélarus [autre nom donné à la Biélorussie, ndlr]».
Alexandre Loukachenko ne lâche rien
Avant le sommet européen du 19 août, Svetlana Tikhanovskaïa, figure de proue de l’opposition biélorusse réfugiée en Lituanie, avait appelé les Européens à rejeter le résultat «falsifié» de la présidentielle, jugeant qu’Alexandre Loukachenko avait «perdu toute légitimité».
La jeune femme, qui a récemment été aperçue sur Twitter en compagnie du sulfureux philosophe Bernard Henri Lévi, est une novice en politique âgée de 37 ans. Elle a pris la suite de son mari Sergueï, un vidéoblogueur en vue arrêté en mai dernier après avoir fait acte de candidature à l’élection présidentielle. Il est accusé par le pouvoir en place de «troubles à l'ordre public» et encourt plusieurs années de prison.
La Pologne, membre de l’Union européenne, a accueilli le 19 août à Varsovie Veronika Tsepkalo et son mari, l'opposant Valeri Tsepkalo, tous deux alliés de Svetlana Tikhanovskaïa. Ils ont été reçus par Jacek Czaputowicz, chef de la diplomatie polonaise qui, selon un tweet du ministère polonais des Affaires étrangères, a promis «du soutien» à la société civile biélorusse.
Si l’Europe a promis une aide financière, se pose maintenant la question de la distribution de cet argent. Alexandre Loukachenko est toujours soutenu par de nombreux Biélorusses dont beaucoup ont manifesté dans la rue en sa faveur. Il n’a, pour le moment, aucune intention de quitter le pouvoir et a nommé le 19 août son gouvernement. Le Premier ministre Roman Golovtchenko, le ministre de l'Intérieur Iouri Karaïev et le ministre des Affaires étrangères Vladimir Makeï restent en poste.
ONG, canaux de financement faciles pour contourner les autorités
Le Président biélorusse a réuni le même jour un Conseil de sécurité et a ordonné de renforcer les contrôles aux frontières et de faire en sorte qu'il n'y ait «plus aucun trouble à Minsk» car «les gens sont fatigués, ils demandent de la paix et de la tranquillité».
Comment l’Europe va-t-elle être en mesure de distribuer l’argent promis alors qu’Alexandre Loukachenko dirige toujours le pays?
«Je ne me suis pas penché dans le détail sur ces annonces, mais l’on peut imaginer que cet argent soit distribué via des ONG. Par définition elles sont transnationales et il est tout à fait possible de les financer. À charge pour elles de réellement utiliser ce financement pour la Biélorussie», estime Gilles Lebreton.
Un petit tour sur le site de la National Endowment for Democracy (NED) [Fondation nationale pour la démocratie, ndlr] permet de constater qu’il en existe plusieurs en Biélorussie. L’organisme rattaché au Congrès des États-Unis en finance certaines qui visent notamment à «améliorer la liberté de l’information» ou «promouvoir l’engagement civique».
Du côté des États-Unis, Donald Trump se fait pour le moment discret concernant la Biélorussie, même s’il a dit «suivre de très près la situation». Joe Biden, son opposant démocrate à la prochaine élection présidentielle de novembre, a de son côté pris une position claire, dont les termes ressemblent beaucoup à ceux employés par Charles Michel:
«Les courageux citoyens du Bélarus montrent que leur voix ne sera pas réduite au silence par la terreur ou la torture. Les États-Unis devraient soutenir l'appel de Svetlana Tikhanovskaïa à des élections justes. Il faut dire à la Russie de ne pas intervenir –il ne s'agit pas de géopolitique mais du droit de choisir ses dirigeants.»
Vladimir Poutine et Alexandre Loukachenko connaissent des relations tendues. Cependant, ils se sont entretenus à plusieurs reprises ces derniers jours. Reste que la position russe est claire. Le 19 août, le Kremlin a une nouvelle fois jugé que la crise politique en cours en Biélorussie était son «affaire intérieure» et a condamné les «tentatives d'ingérence étrangère». Sergueï Lavrov, chef de la diplomatie russe, a quant à lui accusé les Européens de chercher à «s'ingérer» pour défendre leurs propres intérêts «géopolitiques».
«La Biélorussie se situe dans la zone d’influence de la Russie. Il se trouve que depuis ces dernières années, l’Union européenne est extrêmement hostile à Moscou. En soutenant la Biélorussie, elle attaque indirectement la Russie. Il ne faut pas se leurrer», conclut Gilles Lebreton.