Dix mois après la tenue du Grand dialogue national, les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest peinent toujours à retrouver la paix.
Dans une vidéo devenue virale, des individus non identifiés ont mis en scène l’assassinat d’une jeune femme, tuée à coups de machette, en le diffusant sur les réseaux sociaux. La victime, Achiri Comfort Tumasang, 35 ans et mère de quatre enfants, était accusée par ses bourreaux de collaborer avec les forces de défense camerounaises. Un meurtre attribué par les médias et sur les réseaux sociaux aux séparatistes anglophones et qui a suscité une vague d’indignation mais aussi de condamnations au Cameroun.
Des leaders politiques comme Cabral Libii, député de l’opposition, et d’autres acteurs de la société civile dénoncent cette «bestialité», que rien ne saurait justifier.
Un cas loin d’être isolé
Contactés par Human Rights Watch (HRW), les principaux groupes séparatistes ont, contre toute attente, nié leur responsabilité tout en condamnant ce meurtre. Certains «se sont blâmés mutuellement, et d’autres ont accusé les forces gouvernementales de se faire passer pour des combattants séparatistes» en vue de commettre des atrocités, peut-on lire dans une note d’information de l’ONG de défense des droits humains. Une allégation rejetée par le ministre de la Communication, dans une déclaration du 13 août. René Emmanuel Sadi condamne ce meurtre et accuse «les bandes armées terroristes sécessionnistes qui continuent de semer la terreur dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest» d’être à l’origine de ce crime.
Le 9 août dernier, la presse locale se faisait l’écho d’une autre vidéo d’un homme assassiné et décapité par des bandes armées dans le Nord-Ouest sécessionniste. Début juillet, un employé d'une organisation humanitaire enlevé dans le Nord-Ouest anglophone a été tué par des groupes séparatistes, selon un communiqué du bureau des Nations unies de coordination des affaires humanitaire dans le pays (OCHA). Un meurtre qui survient un mois après celui d'un agent de santé communautaire dans la région du Sud-Ouest. Cette stratégie de la terreur vise, selon Louison Essomba, politologue, à attirer l’attention.
«Ce sont des techniques jusqu'au-boutistes utilisées par des terroristes qui visent à créer la terreur (…) Le mode opératoire est de plus en plus axé sur les femmes. Ces terroristes savent qu'en s'attaquant à elles, ils vont susciter l'indignation générale», souligne l’expert au micro de Sputnik.
Dans une note diffusée sur les réseaux sociaux, l'ambassade des États-Unis condamne fermement les meurtres atroces perpétrés contre des civils et dit noter la montée «inquiétante d'attaques brutales» ces dernières semaines, notamment des décapitations, des tortures et des attentats à la bombe dans des zones civiles.
Dans la même veine, Tibor Nagy, sous-secrétaire d’État américain aux affaires africaines, en appelle à une enquête impartiale pour établir les responsabilités.
Des crimes qui discréditent la cause anglophone?
La situation s'est envenimée quand l'État camerounais, soutenu par les évêques anglophones et le PNUD, a lancé un vaste programme de reconstruction dans la zone en conflit. Les séparatistes y ont vu une prise de position des organisations internationales en faveur du gouvernement. Selon HRW, depuis la mi-mai, ils ont tué au moins six civils accusés de soutenir cette initiative de reconstruction ou de passer outre leur mot d’ordre de boycott.
L’ONG prescrit d’ailleurs aux leaders de mettre «fin à la violence contre les civils et les partenaires internationaux du Cameroun» et demande au Conseil de sécurité de l’ONU «d’imposer des sanctions ciblées aux dirigeants séparatistes responsables de ces abus».
«Plus personne n'est d'accord avec ces sécessionnistes extrémistes parce qu'à un moment donné, il faut faire des revendications sans se rendre coupable de crimes. Leur mode opératoire les dessert énormément. Je les invite à revenir à de meilleurs sentiments», se désole le politologue.
Si, dans le camp du Mouvement pour la renaissance du Cameroun (MRC) l’on se désolidarise également de cette manière de procéder, dans un récent communiqué, Maurice Kamto -président du parti et principal opposant de Paul Biya-, tout en condamnant cette recrudescence de violences, en attribue «la lourde responsabilité, quels que soient les auteurs», au pouvoir de Yaoundé en raison, dit-il, «de son opposition persistante à un règlement inclusif et définitif de la crise».
En 2017, les séparatistes des régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ont pris les armes contre le gouvernement de Yaoundé pour réclamer la création d’un État indépendant. Dans ces deux régions, où vivent la majorité des anglophones du pays, l’armée et des groupes sécessionnistes s’affrontent quasi quotidiennement, prenant en tenaille les civils, victimes d’exactions des deux camps. Depuis, les combats ont fait plus de 3.000 morts, selon des ONG, et au moins 700.000 déplacés. En avril dernier, alors que les hostilités se poursuivaient toujours sur le terrain, Yaoundé annonçait son plan de reconstruction desdites localités.