Les États-Unis se dirigent-ils vers une augmentation globale des prix? La question est légitime à en croire les informations de CNBC. Le média américain l’a récemment évoqué dans un article soulignant que la Réserve fédérale américaine (Fed) avait pris la décision de modifier son objectif d’inflation. Elle devrait donc adopter une stratégie où «une inflation supérieure à 2%, l’objectif habituel de la Réserve fédérale, serait tolérée et même souhaitée».
«C’est une très mauvaise décision. Je pense que cela résulte de deux préjugés: tout d’abord, cette lubie keynésienne qui veut que l’on puisse relancer l’économie en augmentant la demande globale. Ensuite, la pensée qui dit que lorsqu’il y a déflation, il y a dépression, et à l’inverse, croissance en cas d’inflation. C’est totalement faux», analyse au micro de Sputnik Pascal Salin, économiste et professeur émérite à l'université Paris-Dauphine.
Les discours des responsables de la Fed pointaient vers un tel choix depuis plusieurs mois. Ainsi, l’économiste et entrepreneur américain Peter Schiff déclarait en décembre dernier que «maintenant, vous avez une Fed qui parle d’adopter officiellement [l'objectif des 2% d'inflation] dans son mandat, voire de faire passer l’inflation au-dessus des 2%».
Récemment, le même Peter Schiff s’interrogeait sur les motivations d’une telle stratégie: «Encore davantage d’inflation que nous en avons actuellement? Je veux dire, comment pouvons-nous en avoir plus? Regardez à quel point ils impriment de l’argent…»
«Politique absurde»
Actuellement, le taux d’inflation oscille autour des 1% aux États-Unis. Mais d’après de nombreux experts, il devrait vite augmenter. Le tout dans un contexte de chômage de masse lié à l’impact de la pandémie de coronavirus. Afin de soutenir l’économie, la Fed compte maintenir ses taux proches de zéro jusqu’à atteindre son objectif d’inflation et obtenir une baisse du chômage, dont le taux oscille toujours au-dessus des 10%. «Nous pensons que la Fed accueillerait favorablement une inflation entre 2 et 4%, en forme de compensation attendue de longue date pour une inflation inférieure à 2% depuis si longtemps», a déclaré Ed Yardeni, directeur de Yardeni Research cité par CNBC.
«La Fed est loin d’être la seule à mener ce genre de politique absurde. La Banque centrale européenne (BCE) vise par exemple un taux d’inflation d’environ 2%. Un tel chiffre devrait être considéré comme excessif. Cela signifie que la monnaie perd 2% de sa valeur par an», rappelle Pascal Salin.
La Réserve fédérale fait également «tourner la planche à billets» à plein régime en achetant des dizaines de milliards de dollars d’actifs de manière hebdomadaire. En juin, son bilan a dépassé les 7.000 milliards de dollars alors qu’il était sous les 3.500 milliards en mars. Une telle orgie de liquidités fait craindre à certains observateurs une montée incontrôlable de l’inflation.
Peter Schiff pense que la Banque centrale américaine est prise au piège et doit justifier l’augmentation des prix provoquée par sa politique monétaire. Quitte à recourir à des subterfuges, d’après l’expert. Il affirme ainsi que la Fed ne communiquera pas sur le taux d’inflation réel mais sur l’indice des prix à la consommation (IPC), voire un chiffre au sein même de cet indicateur, «parce qu’ils peuvent toujours se concentrer sur une partie d’un indicateur et non sur l’indicateur lui-même et dire “oh, nous venons d’observer ça”», analyse-t-il.
Peter Boockvar, investisseur en chef chez Bleakley Advisory Group, critique également la stratégie de la Fed, toujours au micro de CNBC: «S’il y a bien une leçon que les banques centrales auraient dû apprendre, c’est qu’il est facile de se fixer un objectif d’inflation. Tenter réellement de l’atteindre est en revanche extraordinairement difficile». Avant d’ajouter: «Le simple fait de manipuler les taux d'intérêt ne signifie pas que vous atteignez le taux d'inflation que vous choisissez.».
«Aucun sens au niveau économique»
Selon Peter Schiff, la Fed ne peut tout simplement pas faire remonter les taux d’intérêt pour ne pas provoquer un effondrement des marchés. Et l’expert affirme que ce sont les Américains qui paieront les frais d’un tel contexte: «Dire qu’ils vont s’engager à plus d’inflation est une menace contre le peuple américain. C’est une menace pour l’économie américaine. En clair, voici ce qu’ils vous disent: "Nous allons vous faire les poches. Nous allons augmenter le coût de la vie". Quelle politique monétaire stupide! Si l’Amérique est en difficulté à cause du Covid-19, la dernière chose à faire, c’est d’augmenter les prix à la consommation. Après tout, s’il y a moins d’offre car moins de gens travaillent et qu’ils ne produisent pas, alors pourquoi voudrions-nous ajouter de l’inflation à ce problème qui crée déjà de l’inflation? Pourquoi voudrions-nous verser de l’huile sur le feu en causant des prix encore plus élevés, compte tenu de la dépréciation monétaire en cours?»
Même son de cloche du côté de Peter Boockvar: «Cela n’a aucun sens au niveau économique. Le consommateur est actuellement très fragile. La dernière chose que nous devrions viser est une augmentation du coût de la vie.»
Pascal Salin estime quant à lui qu’une remontée des taux serait bénéfique à l’économie américaine:
«Les taux d’intérêt actuels de la Fed, proches de zéro, sont inférieurs au taux d’équilibre. La Réserve fédérale n’aurait pas une mauvaise idée en remontant un peu ses taux. Ils sont aussi faibles aujourd’hui du fait de cette volonté de création monétaire.»
La situation économique est toujours tendue aux États-Unis. Le pays ne parvient pas à juguler la pandémie de coronavirus. Le nombre de nouvelles contaminations quotidiennes dépasse toujours les 50.000 et le 9 août, le pays a passé le cap des cinq millions de cas officiels. Les faillites d’entreprises se multiplient, des millions d’Américains sont frappés par le chômage et menacés d’expulsion.
Vers une baisse du dollar?
Pour y faire face, Donald Trump a dévoilé le 8 août un nouveau plan d’aide à l’économie américaine. Ce dernier prévoit notamment un gel des charges salariales, une allocation chômage prolongée de 400 dollars par semaine, des protections pour les locataires menacés d'expulsion et un report du remboursement des emprunts étudiants. Dans un tel contexte, une augmentation globale des prix serait un véritable coup dur pour des millions d’Américains.
«Cela ne sert effectivement à rien d’augmenter le coût de la vie. Mais des ajustements peuvent s’opérer. En cas d’augmentation des prix, il est possible que les salaires suivent et augmentent aussi», souligne Pascal Salin.
Du côté des investisseurs, on s’accorde à dire qu’une inflation aux États-Unis aurait pour effet de faire monter le prix de l’or, qui a pour la première fois de son histoire dépassé les 2.000 dollars l’once, mais aussi de faire baisser le dollar, qui est déjà malmené, et provoquer une ruée vers les fameux Treasury Inflation-Protected Security (TIPS). Ces titres du Trésor protégés contre l'inflation, émis par le gouvernement américain, ont été conçus afin de protéger les investisseurs contre une perte de leur pouvoir d’achat: à mesure que l'inflation augmente, le prix des TIPS s'ajuste pour maintenir leur valeur réelle.
Nous y voilà… Voici comment la Fed va se vautrer dans une frénésie de création monétaire jamais vue auparavant. Cela va avoir pour conséquence de faire monter drastiquement les prix de l’or, de l’argent, des cryptomonnaies, du brut et des actions.
Comme le note CNBC en se basant sur les chiffres de Refinitiv, un fournisseur de données et d'infrastructures sur les marchés financiers, les fonds TIPS ont connu six semaines consécutives d’achats nets par les investisseurs, dont 1,9 milliard de dollars pour la semaine du 24 juin et 1,5 milliard pour celle du 1er juillet. Il semble bien que certains investisseurs se préparent à voir l’inflation grimper du côté de l’Oncle Sam.
D’après Jérôme Powell, le patron de la Fed, les prochaines annonces «codifieront réellement la façon dont [nous] agissons déjà avec [nos] politiques». Pas de quoi convaincre Pascal Salin, pour qui «les banques centrales sont inutiles et nuisibles puisqu’elles empêchent d’atteindre l’équilibre entre l’épargne désirée par les épargnants et l’épargne empruntée par les investisseurs». Selon lui, «la politique monétaire est une affaire de prévision»:
«En 1929, les autorités avaient manqué de jugement pour le résultat que l’on connaît. C’est en jugeant mal la réalité que l’on provoque des conséquences néfastes.»