Sénégal: Macky Sall a-t-il renoncé à une gouvernance sobre et vertueuse?

Sa promesse d’une gouvernance propre a fait long feu. Mais entre les dossiers judiciaires qu’il a gardés «sous le coude» et les affaires classées de ses proches, Macky Sall tire vers le bas des corps de contrôle naguère prestigieux comme l’Inspection générale d’État et écrase l’Office anticorruption, symbole originel de sa volonté de transparence.
Sputnik

Ex-ministre sénégalais des Affaires étrangères devenu médiateur de la République, Me Alioune Badara Cissé a laissé éclater son exaspération devant la faible volonté du Président Macky Sall à lâcher la bride aux magistrats dans les dossiers frappés de mal gouvernance.

Rappelant le fameux serment du chef de l’État sénégalais en 2012 –«Je ne protège personne, je ne protégerai personne, je dis bien personne»–, Me Cissé réclame aujourd’hui des actes.

«Il faut bien que cet engagement solennel devant la nation se traduise le plus concrètement du monde par des mesures qui nous engagent tous. Le Président a prêté serment devant la nation», a souligné le 26 juillet dernier ce membre fondateur du parti présidentiel lors d’une cérémonie de don du sang.

Un temps menacé de destitution, avec son successeur probable à la médiature déjà incorporé dans le pool des conseillers juridiques du chef de l’État, Me Cissé sera-t-il entendu? Rien n’est moins sûr. Les signes potentiels d’un retour à une administration normale des dossiers judiciaires ne sont pas au rendez-vous car le parquet fonctionne sous la tutelle de fer d’un exécutif tentaculaire.

Les magistrats, y compris ceux de la Cour des comptes, sont nommés par le Président de la République lui-même, après l’avis, selon le cas, d’un Conseil supérieur de la magistrature et d’un Conseil supérieur de la Cour des comptes (art. 90 de la Constitution).

Le Dr Cheikh Tidiane Dièye, coordonnateur de la plateforme «Senegal Bignou Bëug» (Le Sénégal que l’on préfère, en langue wolof), qui regroupe diverses organisations de la société civile sénégalaise, s’est exprimé dans les médias locaux.

«La qualité de la gouvernance du pays, d’un régime à l’autre, se reproduit avec les mêmes tares et les mêmes déficiences », déplore-t-il.

L’Inspection générale d’État (IGE), l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (Ofnac), la Cour des comptes, la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif), l’Autorité de régulation des marchés publics (ARMP), etc., sont les principaux organes dédiés au contrôle de la gouvernance des entreprises et administrations publiques et parapubliques au Sénégal.

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Certains sont des autorités administratives indépendantes, comme l’Ofnac, d’autres des structures dépendant des autorités publiques, comme la présidence de la République pour ce qui est de l’IGE. Leurs rapports –en principe annuels– sont destinés en priorité au Président de la République.

«L’IGE, comme les autres corps de contrôle, a rarement servi à autre chose qu’à fournir au Président des arguments pour s’en prendre à ses opposants. En dépit de son importance dans le dispositif de contrôle, elle n’aura aucun impact tant qu’elle ne regardera que la direction que lui indique le Président de la République», analyse le Dr Dièye.

Le lien établi entre l’IGE et le champ politique ne sort pas du néant. C’est en effet le rapport 2015 de l’organe qui a servi de base au chef de l’État pour obtenir en mars 2018 la condamnation à cinq ans de prison de l’ex-maire de Dakar Khalifa Sall dans un dossier de malversations financières. Déchu de ses droits civiques, ce dernier –figure éminente du parti socialiste et rival assumé de Macky Sall– fut alors exclu de la présidentielle de 2019.

Seule une «grâce» signée… Macky Sall l’a sorti de prison en septembre 2019. Quant au fameux rapport de l’IGE, il reste introuvable, cinq ans après. Et les rapports suivants (de 2016 à 2019) mettront même des années avant d’être remis le 13 juillet 2020 au Président de la République.

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«Pourquoi le rapport de l’IGE (relatif à Khalifa Sall) a-t-il été traité avec une vitesse supersonique alors que pour tous les autres rapports qui épinglent des gestionnaires de structures publiques et parapubliques proches du régime, le pouvoir ne lève pas le petit doigt? Rien ne justifie que certaines institutions soient auditées et pas d’autres», s’insurge le Dr Dièye.

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Depuis sa création en 2013, «l’Ofnac a remis 25 dossiers entre les mains du procureur de la République. Et ces 25 dossiers dorment sur sa table, jusqu’à preuve du contraire», soutient Mody Niang, ancien porte-parole de l’Office anticorruption.

L’une des 25 affaires concerne Cheikh Oumar Hann, actuel ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation. L’Ofnac a accusé cet ex-directeur général du Centre des œuvres universitaires de Dakar (COUD) de plusieurs délits, dont subventions irrégulières, escroqueries, fraudes, faux et usages de faux, lors d’une visite de Macky Sall sur le campus.

«Si on veut asseoir la bonne gouvernance et la transparence dans ce pays, il faut que l’Inspection générale d’État soit délogée de la présidence de la République et positionnée au niveau d’une Assemblée nationale libre et indépendante», déclarait il y a peu l’ex-inspecteur général d’État et ancien président de la Centif Ngouda Fall.

L’IGE, le plus prestigieux des corps de contrôle au Sénégal, est-elle encore utile alors que les suites judiciaires (ou pas) de tout son travail d’investigation et de recommandation sont laissées à l’appréciation exclusive du chef de l’État, comme le prévoit la loi? Selon Birahime Seck, coordonnateur général du Forum civil du Sénégal, l’organe donne l’impression d’exercer ses missions à la tête du client alors qu’elle serait bien inspirée de fouiner du côté de la présidence, du Conseil constitutionnel, de la cour d’appel, de la gestion des bourses familiales…

Pour le camp du Président Sall, la simple production de ces rapports annuels constitue, en soi, un acquis. Après la remise des derniers rapports de l’IGE au chef de l’État, Seydou Guèye, porte-parole du parti présidentiel (Alliance pour la République) a salué dans un communiqué «la portée des initiatives prises par le Président Macky Sall pour consolider la transparence et la bonne gouvernance publique, à travers la signature et la mise en œuvre du Code transparence et de la Charte de bonne gouvernance (…), la mise en place de l’Ofnac et l’instauration de la déclaration de patrimoine…».

Mais pour nombre d’observateurs, le limogeage brutal de Nafi Ngom Keïta de la présidence l’Ofnac en 2016 est un signe de la détermination du Président Sall à conserver un droit de vie et de mort sur les organes de contrôle. Surtout ceux qui, comme l’Ofnac, fouinent dans le business pétrogazier entre l’Australo-Roumain Franck Timis et Aliou Sall, le frère cadet du chef de l’État sénégalais. Petrotim, un dossier qui n’existe presque plus…

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