Qui gagnera la course aux revenus du pétrole syrien? C’est la question nodale de ce conflit qui semble désormais toucher à sa fin. Dans ce contexte, Damas a dénoncé le 2 août un «accord signé par la milice des Forces démocratiques syriennes (FDS) et une compagnie pétrolière américaine pour voler le pétrole syrien […] avec le soutien de l’administration américaine», explique son ministre des Affaires étrangères dans un communiqué cité par l’agence officielle Sana.
Ni l’administration semi-autonome kurde ni les FDS n’ont pris la parole publiquement sur ce dossier. En revanche, les Américains ont de leur côté confirmé un accord «pour moderniser les champs pétroliers du Nord-Est syrien.»
Différentes sources avancent le nom de la compagnie Delta Crescent Energy LLC. Cette dernière aurait apparemment signé un contrat pour commercialiser du pétrole sur le territoire contrôlé par l’entité soutenue par les États-Unis et pour développer et moderniser les champs pétroliers existants. Celle-ci aurait agi avec l’aval de la Maison-Blanche.
Le pétrole, nerf de la guerre
Quelle est la stratégie derrière cette entente? Pourquoi Mike Pompeo, le chef de la diplomatie américaine, estime-t-il lors d’une audience au Congrès américain qu’il «peut-être très puissant»? Afin de mieux comprendre les enjeux qui se cachent derrière cet arrangement, Sputnik France a tendu le micro à Riadh Sidaoui, directeur du Centre arabe de recherches et d’analyses politiques et sociales (CARAPS).
Pour lui, la volonté américano-kurde de sanctuariser les ressources pétrolières de l’Est et du Nord-Est syrien comprend deux volets:
D’une part, «l’un des objectifs que les Américains n’ont jamais cachés en Syrie, c’est le pétrole, comme en Irak en 2003.»
Si maigres fussent-elles, les Américains veulent –selon Sidaoui– un accès privilégié aux ressources pétrolières en Syrie. «Nous gardons le pétrole, j’aime le pétrole», disait Donald Trump à l’automne 2019 au sujet du pétrole syrien.
«Nous devrions pouvoir en prendre aussi, et ce que j’ai l’intention de faire, peut-être, c’est de passer un accord avec une ExxonMobil ou l’une de nos grandes sociétés pour qu’elle s’y rende et le fasse correctement», ajoutait le locataire de la Maison-Blanche.
L’autre volet de la stratégie derrière cet accord est, d’après le directeur du CARAPS, l’asphyxie financière de Damas:
«Le pétrole est une rente pour le régime syrien, qui a drastiquement besoin de ces ressources pour reconstruire la Syrie. Il y a donc une volonté de couper les vivres à Damas.»
En effet, à l’heure de la reconstruction, le gouvernement à Damas manque cruellement de liquidités. Au-delà des années de guerre qui ont détruit ses infrastructures, le pays traverse actuellement une crise économique grave, à laquelle vient s’ajouter le contrecoup économique du coronavirus. En empêchant à Damas l’accès à des millions, voire des milliards de revenus liés aux hydrocarbures, Washington met un coup en plus à un État syrien déjà très affaibli.
Pari risqué pour les Kurdes
Qu’ont à gagner les Kurdes dans cette affaire? Selon Riadh Sidaoui, pas grand-chose à moyen et long terme. S’ils peuvent effectivement remplir leurs caisses à court terme grâce à des infrastructures pétrolières réaménagées, ils s’exposent très dangereusement à plus long terme.
«Les Kurdes jouent avec le feu en signant un tel accord. Ils ont un sanctuaire au Nord-Est de la Syrie, qui est bien mieux que tout ce qu’ils peuvent avoir dans les pays avoisinants. Faire un pas en plus vers une plus grande autonomie kurde dans cette région, aux portes de la Turquie, les expose encore plus à une menace militaire turque», prévient l’expert du Moyen-Orient.
Et ce, sans même parler du gouvernement syrien qui à tout moment, par nécessité des revenus du pétrole, pourrait lancer une offensive contre des forces kurdes qu’il s’est refusé d’attaquer jusqu’à présent.
Un accord qui pousse Erdogan vers un axe russo-iranien?
Ce n’est un secret pour personne, la plus grande phobie d’Ankara est avant tout la création d’un État ou d’une zone kurde autonome aux frontières de la Turquie. Or, c’est tout le sens de l’accord conclu entre Américains et Kurdes qui entend pérenniser la présence de ces derniers dans la région en leur donnant accès à d’importants revenus.
Alors que le Président turc envoie des signaux de rapprochement avec la Russie et l’Iran sur certains dossiers, la conclusion d’un tel protocole peut-elle pousser Erdogan un peu plus dans les bras de Téhéran et de Moscou?
«Je ne pense pas qu’Erdogan soit sincère dans ce rapprochement avec la Russie et l’Iran. Il veut utiliser cette collaboration sur le dossier syrien comme levier de pression sur Washington et leur dire: “je suis votre meilleur allié dans la région”», nuance Riadh Sidaoui.
Si le mariage n’aura pas lieu demain entre Ankara d’un côté et Moscou et Téhéran de l’autre, il est tout de même certain que ces trois acteurs sont et seront hostiles, pour différentes raisons, aux manœuvres kurdes et américaines dans le Nord-Est syrien, conclut Sidaoui.