Présidente du réseau Wassila, association qui aide les enfants et les femmes victimes de violences, Fadhila Boumendjel-Chitour parle avec émotion de Gisèle Halimi, l’avocate et militante féministe et anticolonialiste franco-tunisienne décédée le 28 juillet 2020.
Durant les années 1950, la jeune Fadhila rencontrait souvent Zeiza Gisèle Élise Taïeb à Paris, dans le cabinet de son père Ahmed Boumendjel, avocat et négociateur des accords d’Évian, signés le 18 mars 1962 entre le gouvernement français et le gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) pour mettre fin à la guerre d’Algérie.
«Je suis particulièrement émue d’évoquer la mémoire de Gisèle Halimi. Elle a été d’une grande proximité avec mon père Ahmed Boumendjel et avec mon oncle l’avocat Ali Boumendjel, assassiné par les forces coloniales françaises à Alger. Le souvenir de Gisèle Halimi me renvoie à cette période extrêmement douloureuse de la bataille d’Alger et de la torture en Algérie et je revois cette jeune et belle dame à la prestance extraordinaire clamer d’une voix claire ses convictions et le rejet de toutes les injustices», indique à Sputnik Fadhila Boumendjel-Chitour.
Sororité
La présidente du Réseau Wassila dit garder le souvenir d’une femme qui s’est engagée avec passion dans toutes les causes qu’elle défendait, agissant avec «humanisme, proximité et sororité». «Même dans la lutte contre le colonialisme, elle a su mettre sous les projecteurs l’affaire Djamila Boupacha, cette jeune femme de 22 ans qui a été violée et torturée en prison. En 1972, quand il a fallu défendre le droit à l’avortement, elle a mis en avant la dignité d’une adolescente et de sa mère», relève-t-elle, en allusion à l’affaire connue médiatiquement sous le nom de «procès Bobigny».
«En ma qualité de membre d’une association féministe et de médecin, je n’ai pas trouvé meilleure définition du féminisme que celle de Gisèle Halimi. Pour elle, le féminisme est un humanisme marqué par l’amour de la justice et la défense des droits humains et contre l’esclavagisme, l’antisémitisme, l’atteinte aux droits de minorité. J’essaie de livrer aux jeunes féministes cette définition de Gisèle Halimi», note la présidente du Réseau Wassila.
L’hommage de Djamila
En Algérie, les autorités ont rendu un hommage, plutôt timide, à celle qui a défendu des militants du Front de libération nationale (FLN) devant les tribunaux coloniaux. C’est le ministre des Moudjahidine (combattants pour l’indépendance de l’Algérie) qui a été chargé de cette mission. Dans une déclaration rendue publique par l’APS, l’agence de presse officielle, il a rappelé que l’avocate tunisienne «a affirmé à chaque occasion que la majorité des moudjahidine et moudjahidate prisonniers ont subi les tortures les plus atroces, à l’instar de Djamila Boupacha qui était à ses yeux un symbole de combat et de militantisme de la femme algérienne contre le colonisateur».
«C’est un pan important de ma vie qui s’en est allé. Gisèle a été non seulement mon avocate, mais une grande sœur, sur qui je pouvais compter. Elle m’a assistée dans les moments les plus difficiles, surtout dans les prisons de France où je n’avais personne à qui me fier. Gisèle a risqué sa vie pour me défendre et défendre l’Algérie. Aujourd’hui, je perds cette grande sœur, qui restera à jamais dans mon cœur», a affirmé la combattante du FLN qui avait également été soutenue par l’intellectuelle française Simone de Beauvoir.
«Un peuple aux mains nues»
Pour Fadhila Boumendjel-Chitour, le combat anticolonialiste mené par Gisèle Halimi ne s’est pas arrêté avec l’indépendance de l’Algérie. Durant le conflit du Vietnam, elle a été membre du tribunal international des crimes de guerre Russell-Sartre, une juridiction d’opinion chargée d'enquêter et de juger les activités militaires entreprises par les États-Unis dans ce pays d’Asie du Sud-Est.
Elle a également défendu la cause du peuple palestinien à diverses occasions. En juillet 2014, au plus fort de l’offensive lancée par Israël contre la population de la bande de Ghaza, Gisèle Halimi a signé une tribune dans L’Humanité pour dénoncer le massacre du peuple palestinien.
«Un peuple aux mains nues –le peuple palestinien– est en train de se faire massacrer. Une armée le tient en otage. Pourquoi ? Quelle cause défend ce peuple et que lui oppose-t-on? J’affirme que cette cause est juste et sera reconnue comme telle dans l’Histoire. Aujourd’hui règne un silence complice, en France, pays des droits de l’Homme et dans tout un Occident américanisé. Je ne veux pas me taire.»
En Algérie, le décès de l’avocate a été l’occasion pour de nombreux internautes de publier la vidéo du face-à-face avec le chanteur pied-noir Enrico Macias sur le plateau d’une télévision française. Gisèle Halimi, elle-même issue d’une famille juive, lui explique calmement que si les autorités algériennes ont refusé de le laisser revenir dans son pays de naissance, c’est uniquement à cause de son soutien public à Israël et au Mossad, et non pas en raison de sa confession juive, comme il l’affirmait.
Fadhila Boumendjel-Chitour a revu Gisèle Halimi en 2007, lorsque les autorités algériennes avaient décoré les membres de tous les collectifs d’avocats qui avaient défendu les militants du FLN. «Gisèle Halimi était au premier rang, j’avais été invitée pour représenter mon oncle et mon père. Je me suis avancée vers elle, je me suis présentée et Gisèle m’a serrée contre elle en me disant: "Oh, ma petite fille". J’ai aujourd’hui encore son chuchotement dans mon oreille», se rappelle la présidente du Réseau Wassila.
Pour elle, Gisèle Halimi doit être un modèle pour les jeunes féministes algériennes car «les causes justes qu’elle a défendues avaient pour fond commun l’horreur de la domination d’un être humain par un autre».