Le Liban en crise, lâché par la France, les États-Unis et le FMI?

La communauté internationale refuse-t-elle d’aider le Liban? Pour Karim el-Mufti, invité de Désalliances, les reproches du Premier ministre après le drôle de match que se sont livrés la France et le Liban ressemblent à une théorie du complot. Mais il admet en même temps que les pressions américaines contre Beyrouth pourraient leur donner raison.
Sputnik

Hassan Diab, Premier ministre libanais, a accusé ce mardi 28 juillet la France et la communauté internationale dans son ensemble de ne pas vouloir aider les Liban:

«Le fait qu’il [Jean-Yves Le Drian, ndlr] ait lié toute aide au Liban à la concrétisation de réformes et à la nécessité de passer par le Fonds monétaire international montre que la position internationale pour l’heure est de ne pas aider le Liban.»

Moins d’une semaine après la visite du ministre français des Affaires étrangères, en tant que représentant d’un pays partenaire et plus globalement de la communauté internationale, Hassan Diab a tiré à boulets rouges sur son allié, réfutant le discours de la France. En effet, Jean-Yves Le Drian a rappelé une nouvelle fois les exigences de Paris lors de sa visite au Liban, ces 23 et 24 juillet 2020, à savoir qu’il conditionnait toute aide financière à des réformes rapides du système libanais.

«On comprend que le gouvernement puisse penser que la communauté internationale ne veut pas l’aider, donc il essaye de resserrer les rangs de la classe politique. Sauf qu’en face, lorsqu’on regarde le train des réformes, lorsqu’on regarde la véritable volonté des acteurs politiques, économiques et financiers, il y a un déficit d’information, il y a un problème quant à la répartition des pertes. Et tant que ce travail n’est pas fait, même la porte du FMI restera fermée», détaille Karim el-Mufti à Sputnik.

Le professeur de science politique à l’université La Sagesse à Beyrouth tente ainsi d’expliquer les réactions de chacune des parties.

D’un côté, selon l’expert, le gouvernement d’Hassan Diab tente de réformer les institutions en crise financière. Mais comme l’a illustrée la démission du directeur général du ministère des Finances, Alain Bifani, le 29 juin dernier, Beyrouth rencontre des obstacles face au «lobbying des banques» et notamment de la Banque centrale, dirigée par Saad Salamé. Sa réaction laisse donc transparaître de la déception face à la décision de Jean-Yves Le Drian.

En effet, ce dernier a rappelé que Paris continuera d’aider les Libanais en soutenant directement le secteur de santé ou celui de l’éducation, mais qu’il ne secourra plus l’État central et son système financier basé sur les banques et sur la Banque centrale.

La France «alignée sur la politique américaine»

Ce sont justement ces dernières institutions que Le Drian appelle à se réformer en profondeur afin que la communauté internationale, par l’intermédiaire du Fonds Monétaire International (FMI), puisse aider le Liban:

«Quelqu’un comme le ministre Le Drian connaît bien le Liban, poursuit l’interlocuteur de Sputnik. Je pense qu’il a vu outre cette poudre aux yeux. Il ne s’agit pas seulement de mettre en place des institutions de façade, il faut absolument réformer les institutions dans le fond.»

Cette décision de ne plus aider directement l’État central et d’imposer des réformes avant de donner de nouveaux fonds intervient après la conférence de CEDRE d’avril 2018. Celle-ci, organisée par la France, avait promis près de 11 milliards de dollars au Liban, et le Koweït y représentait un donateur majeur. Mais depuis, les États-Unis, dans leur guerre contre l’Iran et le Hezbollah, leur allié libanais, ne cessent d’accroître leurs pressions sur le Liban.

«La vis américaine a là aussi remis à sa place l’Émirat du Koweït. Pareil pour la France, qui est aussi un peu alignée sur la politique américaine en n’aidant pas le Liban officiel.»

En effet, si les sanctions financières américaines existent depuis des années contre le Hezbollah, Washington, considérant que l’organisation chiite était partie intégrante du gouvernement, s’est fait un devoir de les imposer à l’ensemble des autorités politiques libanaises. De plus, pour empêcher le Hezbollah –et donc le Liban– de jouer un rôle dans la reconstruction syrienne et de sortir la tête de l’eau par la même occasion, Washington a promulgué une nouvelle loi punitive: le Caesar Act, qui impose des sanctions contre tous particuliers ou entreprises commerçant avec la Syrie.

La France jouerait-elle le même jeu politique que les Américains, comme semble l’affirmer Hassan Diab?

«Je pense qu’il y a un alignement d’intérêts. […] Mais contrairement aux Américains, qui eux ne discutent en aucun cas avec le Hezbollah, les Européens et notamment la France font partie des acteurs qui continuent de conserver une influence en discutant avec l’ensemble du spectre politique libanais, Hezbollah compris, pour comprendre la situation et déterminer les possibilités.»

En effet, la France s’est toujours refusé d’accepter les injonctions américaines de rompre le dialogue avec le Hezbollah. La distinction d’une branche politique et d’une branche militaire au sein du Hezbollah permet à l’UE et la France de garder un canal diplomatique avec l’organisation chiite et donc d’être toujours un soutien du Liban, contrairement aux États-Unis et à leurs décisions isolationnistes.

Cependant, les pressions américaines, qui s’intensifient sur Beyrouth, réduisent les marges de manœuvre de la France. Et les déclarations virulentes d’Hassan Diab qui, selon Karim el-Mufti, «frise la crise diplomatique» n’en sont qu’une illustration. Devant les réactions françaises venant notamment de l’opposition –le Quai d’Orsay n’a toujours pas réagi– le Premier ministre libanais a fait machine arrière et a salué «les profondes relations franco-libanaises» devant une délégation française, jeudi 30 juillet.

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