«Est-ce qu’une femme peut parler [sur ce plateau] à part Simone Veil?» L’archive, visionnable sur le site de l’INA, semble sortie d’une autre époque. Au soir du 20 septembre 1992, les bureaux de vote viennent de fermer en France et l’on attend les résultats définitifs du référendum sur le traité de Maastricht. Gisèle Halimi est en direct sur France 2 pour défendre le «non». Entourée presque exclusivement d’hommes, la militante féministe a le plus grand mal à finir une phrase sans être interrompue. Avec un respect mêlé d’admiration, c’est sa camarade Simone Veil que la juriste voudrait interpeller, au sujet de ce qu’elle voit comme un recul des droits des femmes dans le traité. Mais l’eurodéputée a déjà dû quitter le studio.
«J’aime mieux qu’on lui décerne des louanges plutôt que de la traiter comme elle a été traitée», s’insurge son compagnon de lutte Gérard Filoche, joint par Sputnik, tandis que le journaliste Daniel Mermet ironise sur le site de Là-bas si j’y suis que «beaucoup des crocodiles qui la pleurent aujourd’hui furent ses adversaires et ses ennemis».
«C’était une immense militante», résume avec émotion Gérard Filoche, la qualifiant sans hésiter de «triple héroïne: de la lutte pour l’avortement et la contraception, de la lutte pour l’indépendance de l’Algérie, et de la lutte contre le Traité constitutionnel européen (TCE)».
Un troisième combat dont on se souvient moins, souligne l’ex-socialiste dissident qui la côtoyait depuis les années soixante. Si son rôle éminent dans le mouvement féministe et anticolonial est largement commenté, Gérard Filoche insiste pour que l’on n’oublie pas la «bataille de 2005»: «C’était une cause commune pour nous, même si moi je réfléchis en termes de luttes sociales, tandis qu’elle se plaçait sur le terrain du droit. Que ce soit sur le sort des femmes, des travailleurs ou des Algériens, elle était une figure de l’histoire des droits démocratiques en général.»
«Un aplomb à toute épreuve»
Et l’ancien inspecteur du travail de se remémorer une anecdote de campagne: «Avec l’économiste Jacques Généreux et le député socialiste Marc Dolez, nous achevions une gigantesque série de quatre-vingts meetings en faveur du “non” à travers tout le pays, entre mars et mai 2005. Harassés, on arrive à Paris pour le dernier rassemblement, auquel doit participer Gisèle Halimi, et on se dirige péniblement vers le premier rang de la salle pour s’asseoir. Quand tout à coup, poursuit Gérard Filoche, elle s’assied au milieu de nous trois, l’air de rien. Et nous lance un salutaire “J’ai tellement l’habitude que les hommes me prennent ma place que maintenant, je ne bouge plus!” Elle avait un culot, un aplomb à toute épreuve. Son intervention au meeting fut magnifique et acclamée.»
«Elle était toujours du côté de ceux qui sont écrasés dans leurs droits», salue le fondateur de la Gauche démocratique et sociale (GDS).
Critique dudit TCE non seulement par opposition à la mise en concurrence des travailleurs des différents pays de l’UE, mais également pour des raisons plus fondamentalement féministes, Gisèle Halimi allait jusqu’à le qualifier, dans une tribune au Monde de mai 2005, de «menace pour les femmes», reprochant au texte de reléguer l’égalité homme-femme dans les «objectifs» de l’Union plutôt que d’en faire une valeur fondamentale, et d’employer le terme de «droit à la vie», que la cofondatrice d’Attac jugeait ambigu sur l’avortement.
Clause de l’Européenne la plus favorisée
Mais c’est dès la décennie précédente, avec le référendum sur le traité de Maastricht, que cette déçue de François Mitterrand s’était rapprochée de l’aile chevènementiste du PS et avait milité pour le «non» en 1992. Aux européennes de 1994, elle saura imposer au nouveau mouvement de Jean-Pierre Chevènement une liste entièrement paritaire.
«Je défends également depuis longtemps cette idée sur le SMIC», abonde Gérard Filoche, «mais quand je vois que Marlène Schiappa et Nathalie Loiseau ont repris l’idée de Gisèle Halimi, j’avoue que je ne leur fais pas vraiment confiance pour l’appliquer. Ce sont des trompe-l’œil, elles prennent les gens pour des gogos», conclut le syndicaliste avec son habituelle truculence.