Il avait fallu attendre février 2020 et une offre de rachat d’un demi-milliard de dollars du conglomérat américain Teledyne Technologies pour que le gouvernement, à travers Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, se saisisse du cas et n’appose en mars son véto à la vente.
La Défense et la dissuasion sont par définition deux créneaux qu’embrasse la PME basée à Mérignac... et qu’Emmanuel Macron a évoqué dans son discours de février devant l’École de Guerre. Si ses appareils de vision nocturne, qui équipent notamment les forces spéciales françaises… et américaines, sont les produits de la firme les plus mis en avant dans la presse et par le ministre de l’Économie, les technologies de Photonis équipent également l’accélérateur de particules du CERN, le télescope spatial Hubble ou encore les sous-marins nucléaires français.
Laisser une pépite française œuvrant dans le domaine de la Défense tomber dans le giron d’un géant américain? Cela n’aurait rien d’une première, puisque les cas d’Alstom et Latécoère ont déjà défrayé la chronique.
Une telle décision dénoterait pourtant au beau milieu des récents discours de l’exécutif: «Je veux que ce soit un plan de relance industriel pour bâtir notre souveraineté industrielle», martelait Emmanuel Macron lors de son interview à l’occasion de la fête nationale du 14 juillet. Il était alors question d’un plan de relance «massif», en complément des 460 milliards d’euros de soutien à l’économie budgétisé depuis le début de la crise du Covid-19. Un plan, destiné aux «secteurs d’avenir».
Une «souveraineté» industrielle… mais verte et européenne
Même son de cloche du côté de Matignon. Si le nouveau Premier ministre a lui aussi abordé la thématique de l’écologie le 15 juillet dernier à l’Assemblée nationale, il a également évoqué la «souveraineté» économique. Un virage pour l’exécutif, alors que ce concept prend souvent une connotation péjorative dans la bouche des élites françaises? Non, car il s’agit avant tout d’une souveraineté «à l’échelle européenne». Ainsi, le désir de créer des «champions industriels européens» ressurgit-il, comme du temps où Alstom (Transport), Alcatel, Lafarge, Peugeot –pour ne citer que les plus médiatisés– furent jetés en pâture à leurs concurrents sous le prétexte de créer des «Airbus de…», avec des résultats systématiquement désastreux pour les intérêts tricolores.
«Favoriser l’émergence» de tels champions européens dans les conditions actuelles tient du défi, notamment à cause de la Commission européenne: c’est elle qui, par crainte de voir émerger un groupe en situation de monopole, qui avait sauvé in extremis Alstom Transport lorsque Emmanuel Macron avait voulu la céder à l’allemand Siemens.
Priorité à la souveraineté sanitaire
Pour en revenir au cas de Photonis, l’optique d’un repreneur européen semble également disparaître. Certes, comme le soulignaient récemment Les Échos, les Néerlandais ont fait part de leur intérêt, rappelant que l’un des sites de production de la PME française (l’usine de Brives), était un ancien site de Philips et qu'une partie de la production de l'entreprise est réalisée aux Pays-Bas (Roden). Ainsi, les Bataves estiment-ils que «Photonis est une entreprise franco-néerlandaise». Pour autant, il n’est nulle question pour eux de racheter les actifs tricolores afin de conserver une direction de Photonis en Europe, mais à l’inverse pour soutenir l’offre de rachat américaine…
L’air du temps n’est donc pas à la Défense. En somme, les perspectives que Photonis reste dans le giron tricolore s’amenuisent. Toutefois, comme le souligne La Tribune dans un récent article, la PME bordelaise a une autre corde à son arc, celle-ci fournissant notamment aux laboratoires des composants essentiels à la détection du Covid-19… Le coronavirus, ultime planche de salut pour le groupe français?