«L’ancien monde fait de la résistance», lance ce jeudi Le Point. L’Ifop publie en effet pour l’hebdomadaire un sondage qui conclut à «un phénomène de droitisation de l’électorat national». Menée du 7 au 10 juillet, l’enquête donne seulement 13% de Français se décrivant comme de gauche, contre pas moins de 39% de droite et 32% au centre, tandis que 16% des sondés ne se prononcent pas.
Ces chiffres «habituellement relativement stables» d’un sondage à l’autre, comme le précise l’institut, sont marqués cette fois-ci par une nette variation. Ainsi, à la même question en mars 2017, 23% des personnes répondaient se classer à gauche, soit dix points de plus qu’aujourd’hui. Surtout, c’est la présentation en axe numéroté de 0 (le plus à gauche) à 10 (le plus à droite) qui frappe le regard.
«La France est de plus en plus à droite», en conclut sans tarder Jean Quatremer. Sur Twitter, le sémillant correspondant de Libération à Bruxelles met en garde ses confrères: «Une leçon à méditer pour bon nombre d’intellectuels et de journalistes qui semblent vivre sur une planète lointaine.»
«Droitisation» des sympathisants LREM
Pour autant, tandis que Jean Quatremer avait soutenu la candidature d’Emmanuel Macron dès le premier tour de 2017, c’est précisément chez les sympathisants LREM que ce phénomène de «droitisation» est le plus prégnant:
«En cohérence avec la nomination d’un deuxième Premier ministre issu des rangs de la droite», relève l’Ifop.
Alors, remisé, le célèbre «et de droite, et de gauche»? Un virage dextrogyre du parti présidentiel déjà relevé depuis de nombreux mois par certains observateurs au sujet de la politique économique et sociale de l’exécutif, mais qui cette fois-ci s’observerait, d’après les résultats de l’étude, chez ses électeurs.
«Décrédibilisation» de la gauche de gouvernement?
Pour le politiste Philippe Marlière, qui avait cofondé, en réaction à la politique de François Hollande, le «Club des socialistes affligés», c’est l’offre politique de la gauche actuelle qui serait insuffisante, et non la notion même de gauche. Le professeur de l’University College de Londres renverse ainsi la problématique: ce ne serait pas la France qui serait de plus en plus à droite, mais les forces politiques de gauche qui peineraient à se rendre crédibles.
Économiste de gauche connu pour sa critique du «bloc bourgeois», Bruno Amable ironise, lui, sur la numérotation utilisée par l’Ifop: «Obtiendrait-on le même résultat si on disait que 0 c’est la droite et 10 la gauche?», s’amuse-t-il sur le réseau social à l’oiseau bleu. Avant de tempérer: «Je pense qu’on obtiendrait quelque chose de différent, mais pas forcément radicalement différent.»
Surtout, le professeur à l’université de Genève insiste sur ce que révèlerait selon lui cette étude, non sur le positionnement en tant que tel des citoyens, mais sur leur perception des forces politiques actuelles:
«La droite a été assez habile pour apparaître comme le camp de la loi et de l’ordre. Pour le parti de Balkany, Fillon, Sarkozy, Darmanin… c’est quand même un exploit», tacle-t-il, alors que «la gauche, elle, n’apparaît pas comme le camp de l’idéal de justice sociale, mais comme celui de la trahison de cet idéal. Merci Hollande, Delors et quelques autres.»
En revanche, présage Bruno Amable, «si l’on demandait “êtes-vous pour le renforcement du modèle social?”, on obtiendrait certainement une majorité de oui. C’est sur ce genre de questions […] que doit se faire la différenciation politique».
La plupart des Français favorables au rétablissement de l’ISF
Une supposition d’ailleurs confirmée par un autre sondage, publié en avril dernier par Viavoice pour Libération, selon lequel une majorité de Français serait favorable au rétablissement de l’ISF, à une taxation plus forte des hauts patrimoines, à un meilleur partage du travail ou à une augmentation du salaire des fonctionnaires.
Autrement dit, en observateur attentif, Bruno Amable semble sous-entendre que les gens de droite le sont toujours, tandis que les gens traditionnellement de gauche se désignent moins qu’avant par ce terme, assimilé à des déceptions. Un sondage de l’Ifop qui renseignerait donc plus sur la terminologie «gauche-droite» et son usage, que sur le véritable fond idéologique et les différentes valeurs présentes au sein de la population.