RDC: Qui contrôle la CENI gagne les élections

En RDC, la controverse, la grogne et les manifestations populaires ne faiblissent pas depuis la désignation de Ronsard Malonda à la tête de la Commission électorale nationale indépendante. Comment comprendre une telle mobilisation à trois ans des élections générales de 2023? Décryptage pour Sputnik du chercheur et journaliste Patrick Mbeko.
Sputnik

En République démocratique du Congo (RDC), les jours passent et se ressemblent. Malgré l’interdiction des manifestations par les autorités, les rues des grandes villes sont prises d’assaut par la population en colère. Du côté de l’opposition politique et de la société civile, on vocifère et on promet de «se battre jusqu’au bout» pour défendre l’état de droit.

Au cœur de la contestation, qui prend de plus en plus de l’ampleur: la désignation à la tête de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) de Ronsard Malonda. S’il y a un nom qui jaillit de toutes les conversations au Congo aujourd’hui, c’est bien le sien. Il est celui qui cristallise les colères à trois ans des prochaines échéances électorales en RDC.

Une brève histoire des commissions électorales africaines

L’avènement du multipartisme en Afrique a marqué une nouvelle ère dans l’histoire politique du continent. L’hégémonie des partis uniques, qui disposaient jusque-là du monopole de l’activité politique, a été vigoureusement disputée par de nouveaux mouvements qui ont vu le jour dans la foulée de ce que certains observateurs ont appelé la «transition démocratique».

Les scrutins se sont ouverts à des opposants jusque-là écartés. Si, dans certains rares cas, des adversaires du gouvernement en place ont pu se défaire de l’ordre ancien en gagnant les élections, il n’en reste pas moins que dans la plupart des votes, c’est la volonté du parti au pouvoir qui l’a emporté sur la volonté populaire. Ce qui a fait dire à l’ancien Président congolais Pascal Lissouba:

«En Afrique, on n’organise pas des élections pour les perdre.»

Cette phrase, qui est restée dans les annales des consultations populaires sur le continent, en dit long sur le rôle que revêtent désormais les élections dans la plupart des pays africains. Instruments par lesquels les citoyens désignent leurs gouvernants et participent à la gestion de la chose publique dans les pays de droit, celles-ci sont devenues un moyen par lequel certains régimes en Afrique conservent le pouvoir contre la volonté populaire.

Pour maintenir le statu quo via des simulacres de consultation populaire, la plupart gouvernements africains misent désormais sur les commissions nationales électorales. Pratiquement chaque pays en a une. Chargés de la gestion des élections, ces organes, souvent qualifiés «d’institutions d’appui à la démocratie», jouent un rôle tout aussi important que l’armée et les services de sécurité dans la préservation et la consolidation des régimes en place. Le cas de la CENI en RDC est emblématique. Rongée par la corruption, elle a la triste réputation d’organiser des élections dont les résultats ne reflètent jamais la volonté populaire.

En 2006 et en 2011, la commission a proclamé des scores qui, de l’avis même de la société civile, et plus particulièrement de l’Église catholique –institution centrale en RDC qui a des observateurs à travers le pays–, ne reflétaient pas «la vérité des urnes», pour reprendre une expression à la mode en RDC. Idem en 2019, où elle a communiqué les résultats globaux des élections alors que les opérations de dépouillement dans certaines villes n’étaient pas encore terminées. On découvrira même que dans des régions, les bulletins de vote n’avaient pas été dépouillés.

Et face aux critiques des observateurs étrangers et de la société civile, les responsables de la CENI ont toujours cette formule imparable:

«Les irrégularités constatées ne remettent pas en question l’ordre d’arrivée.»

Pour cela, ils peuvent compter sur la complaisance de la Cour constitutionnelle qui, à l’instar de la commission électorale congolaise, a toujours cautionné les irrégularités et la fraude pour le compte du parti au pouvoir...

«Tout le monde sauf Ronsard»

Depuis 2006, la CENI a coordonné trois élections présidentielles, toutes contestées aussi bien par les candidats malheureux que par les organisations de la société civile et les observateurs étrangers. Chaque scrutin a été l’occasion de questionner la probité, l’intégrité et la neutralité de ceux qui président l’institution: l’abbé Apollinaire Malu-Malu en 2006, le pasteur Daniel Ngoy Mulunda en 2011 et Corneille Nangaa Yobeluo en 2018. Tous provenant du parti au pouvoir ou réputés être proches de celui-ci.

En RDC, qui contrôle la CENI contrôle les élections et, par voie de conséquence, gagne les élections. Bien que les partis d’opposition disposent de représentants à la commission électorale, il n’en demeure pas moins que le président de l’institution est et reste celui qui proclame le gagnant du scrutin… parfois avec la complicité de certains représentants de l’opposition qui préfèrent fermer les yeux moyennant quelques billets verts. En clair, le président de la CENI est le maître incontesté du jeu électoral... piloté bien entendu à partir de la présidence.

Avoir la personne qu’il faut à la tête de cette commission est une question de vie ou de mort tant pour le parti au pouvoir que pour l’opposition politique et la société civile. C’est la raison pour laquelle la désignation de Ronsard Malonda dans des circonstances calamiteuses ne cesse de déchaîner les passions. Proche collaborateur du président sortant de la CENI Corneille Nangaa, il est aussi soupçonné de rouler pour le FCC (Front commun pour le Congo), la plateforme dirigée par l’ancien Président Joseph Kabila. Pour l’opposition et la société civile, un seul mot d’ordre: «Tout le monde sauf Ronsard»...

La position inconfortable de Félix Tshisekedi

S’il y a une personne que la désignation de Ronsard Malonda place dans une position inconfortable, c’est bien l’actuel Président congolais, Félix Tshisekedi. La victoire électorale de ce dernier, fruit non pas du choix populaire mais d’un «deal» scellé avec le FCC, n’avait été proclamée par la CENI et défendue devant la Cour constitutionnelle par nul autre que Ronsard Malonda... pourtant contesté aujourd’hui par son parti, l’UDPS. Une terrible équation pour le numéro un congolais qui doit manœuvrer dans un environnement politiquement chargé de sorte à ne pas bousculer les susceptibilités des alliés du FCC –lesquels défendent le maintien de Ronsard Malonda à la tête de la CENI– tout en cherchant à ne pas attiser la colère des militants de l’UDPS qui rejettent la désignation de celui-ci.

Bien que sa marge de manœuvre semble réduite, Félix Tshisekedi, aux dernières nouvelles, a quand même pris fait et cause pour les contestataires en refusant d’entériner la nomination de Ronsard Malonda à la tête de la commission électorale. Dans sa réponse adressée à la présidente de l’Assemblée nationale, qui avait confirmé la désignation de Ronsard Malonda à la grande colère de l’opposition, le chef de l’État constate:

«L’information selon laquelle Ronsard Malonda a été désigné à l’issue d’un processus interne aux confessions religieuses est fortement contestée en fait comme en droit par certains membres de cette composante.»

Il évoque à titre d’exemple l’Église du Christ au Congo, l’Église catholique et l’Église Kimbaguiste qui n’ont pas fait mystère de leur opposition au choix porté sur Ronsard Malonda. Sur ce dernier point, le Président congolais a parfaitement raison et, s’en remettant à la position des confessions religieuses, habilitées à choisir le président de la CENI, pour justifier sa décision, Fatshi (surnom donné à Félix) se tire subtilement d’affaire sans susciter l’ire de ses partenaires du FCC qui insistent pour que Malonda soit maintenu à la tête de l’institution.

Conscient du fait que Ronsard Malonda et le FCC connaissent la vérité sur les résultats des élections de 2019 et détiennent de «petits secrets de famille» sur son arrivée au pouvoir, Félix Tshisekedi, de lui-même, ne peut courir le risque de récuser ouvertement la désignation à la tête de la commission électorale de celui qui a défendu sa victoire contestée devant la Cour constitutionnelle envers et contre tous. Comme Ponce Pilate devant statuer sur le cas du Christ, il a préféré s’en laver les mains en s’en remettant aux confessions religieuses qui, non seulement sont chargées de choisir la personne qui doit diriger la CENI mais aussi s’opposent avec véhémence à la désignation problématique de Ronsard Malonda. Sa décision, jugée «courageuse» par les uns et saluée par les autres, ne sonne pas pour autant la fin de la partie, et rien n’indique que le futur président de la commission électorale ne proviendra tout de même pas du FCC...

Discuter