Il s’agit sans aucun doute de l’un des moments forts de l’actualité diplomatique de ces dernières années dans les Amériques. Le 8 juillet dernier, le Président mexicain, Andrés Manuel López Obrador, s’est rendu à Washington pour y rencontrer son homologue américain, Donald Trump.
Un événement sous forme de réconciliation
Mais l’opération ne vaut pas que des éloges à López Obrador de la part de son opposition à Mexico. Arrivé dans la capitale américaine à bord d’un vol commercial, parce qu’il a mis en jeu l’avion présidentiel à la loterie, López Obrador était pourtant reconnu pour sa dénonciation du discours jugé raciste de son homologue.
En août 2017, le président du parti MORENA (mouvement de régénération nationale) publiait un livre intitulé Oye Trump («Écoute Trump», Éd. Planeta Publishing), une compilation de discours, livre dans lequel il accuse le Président américain de xénophobie à plusieurs reprises.
«Trump alimente le racisme. Il est contre les étrangers, mais il ne le voit pas ainsi. C’est une stratégie politique, mais elle nous a beaucoup fait mal», déclarait-il le 8 mai 2017 au journaliste Jorge Ramos.
Au Mexique, la visite du surnommé Président AMLO, à Washington, est effectivement interprétée par certains comme un acte de trahison envers les Mexicains du Mexique et des États-Unis. Un point de vue largement relayé sur les réseaux sociaux. Rappelons que Trump a déjà laissé entendre que les Mexicains en territoire états-unien étaient des violeurs et des vendeurs de drogue.
«Ce que j’apprécie le plus, c’est que vous n’avez jamais voulu nous imposer quoi que ce soit. Vous avez suivi les conseils de George Washington, qui a dit que les nations ne devraient pas profiter du malheur [des autres, ndlr]. Vous n’avez pas essayé de nous traiter comme une colonie, au contraire, vous avez honoré notre condition de nation indépendante», a déclaré López Obrador en s’adressant à Donald Trump lors de sa brève allocution, tout juste avant de procéder à la signature du nouveau traité de libre-échange.
Pour le sociologue Saúl Sánchez, professeur à l’Université de Guanajuato, au Mexique, la visite d’AMLO à Washington n’a rien d’une quelconque trahison, malgré l’évidence d’une «relation asymétrique entre les deux pays».
Visite à Washington de López Obrador: un acte de «trahison»?
Saúl Sánchez estime plutôt que les deux chefs d’État avaient un intérêt mutuel à se rencontrer:
«Il n’y a rien d’anormal dans cette visite. Même si l’opposition a essayé de développer ce narratif, je ne vois pas du tout d’acte de soumission. Il faut rappeler que les États-Unis sont la plus importante relation extérieure du Mexique. […] Depuis quelque temps, Donald Trump est aussi beaucoup plus respectueux envers le Mexique. Il y avait le Donald Trump candidat et ensuite il y a eu le Donald Trump Président. Ce sont deux approches différentes», observe le sociologue au micro de Sputnik.
«Le Mexique ne pouvait pas dire non à l’invitation du Président des États-Unis. Trop de sujets les unissent: les rapports économiques, la question migratoire, le contrôle des armes et de la criminalité, etc. […] Pour le Président mexicain, c’est aussi un moment crucial, car l’économie mexicaine va régresser d’une manière très importante en raison de la pandémie de Covid-19. On parle d’une baisse de 8% de PIB. La signature du traité de libre-échange est l’occasion de limiter les dégâts», souligne Saúl Sánchez.
Peu après la signature de l’entente, Trump et López Obrador ont échangé des battes de baseball de valeur en guise de présents, un sport apprécié par les deux Présidents.
Une manière d’enterrer la hache de guerre?
«López Obrador avait aussi quelque chose à gagner en faisant cette visite, par exemple l’augmentation du salaire des travailleurs mexicains employés par des entreprises américaines au Mexique. AMLO montre que Donald Trump est encore présidentiable, mais il ne garantit pas non plus sa réélection. […] Les deux dirigeants ont adopté un ton très diplomatique», constate le sociologue.
Donald Trump a quant à lui affirmé que la visite de son homologue était un «succès», malgré les critiques répétées pointant notamment les risques qu’elle représentait en raison du Covid-19. «Les relations entre les États-Unis et le Mexique n’ont jamais été aussi proches qu’en ce moment même», a déclaré le locataire de la Maison-Blanche.
«Les deux leaders sont protectionnistes, ils ne sont pas totalement adversaires. […] On pourrait penser qu’ils sont aux antipodes, car l’un est de gauche et l’autre est de droite, mais sur certains points, ils partagent un agenda similaire», conclut Saúl Sánchez.