C’est le scandale qui secoue actuellement le Sénégal: six gazelles oryx qui s’épanouissaient dans la réserve naturelle publique de Ranérou, une zone sylvopastorale située dans le nord-est du Sénégal, auraient été transférées vers une réserve privée à Bambilor, une localité rurale à environ 40 km de Dakar. Cette réserve appartient, de notoriété publique, à Abdou Karim Sall, le ministre de l’Environnement et du Développement durable (MEDD) sénégalais et figure du parti au pouvoir.
Selon les informations du quotidien sénégalais Source A à l’origine de cette révélation fracassante, les six mammifères sont morts en cours de trajet (près de 410 km) et/ou à leur arrivée dans la réserve du ministre. D’autres sources journalistiques ont fait état, plus tard, de seulement trois bêtes décédées.
Espèce en voie de disparition, ces gazelles oryx ont été importées dans les années 1990 au Sénégal, qui en compte près de 400 aujourd’hui grâce aux «services du ministère de l'Environnement qui se sont tellement bien occupés de ces pauvres animaux», rappelle Moustapha Sarré, cadre du parti d’opposition Pastef, sur Facebook.
«Au lieu d’emboîter le pas de ses prédécesseurs, monsieur Abdou Karim Sall, pour décorer sa réserve privée nichée à Bambilor, n’a rien trouvé de mieux que de convoyer six de ces pauvres bêtes dans des conditions exécrables, tuant ainsi trois d’entre elles», s’indigne-t-il dans son post.
Dans une note intitulée «Crime de faune: désinvolture ou trafic d’animaux sauvages» relayée sur les réseaux sociaux, le Dr Cheikh Dieng –environnementaliste et par ailleurs maire d’une commune de la banlieue de Dakar, sous les couleurs d’un parti de l’opposition– sème le doute au sujet de l’attitude présumée du ministre de l’Environnement Abdou Karim Sall et pose une question cruciale:
«Ces gazelles étaient-elles destinées à décorer un zoo ministériel ou à alimenter un trafic d’animaux sauvages, sachant que sur le marché, ces oryx valent entre 40 et 50 millions de francs CFA la pièce? [entre 61.000 et 76.000 euros].»
L’affaire est qualifiée de «scandale d’État» eu égard à la position du principal mis en cause. Pour de nombreux internautes, comme pour plusieurs opposants qui ont sauté sur l’occasion, celui-ci n’est plus légitime à poursuivre ses fonctions de ministre en charge de l’Environnement.
Le transfert et la mort présumés des gazelles suscitent beaucoup d’interrogations, en particulier sur les prérogatives que le ministre se serait octroyées en alimentant sa réserve personnelle de biens appartenant à la collectivité.
«Un acte inadmissible qui exige une enquête puisque tout démontre qu’il existe une soustraction de biens publics pour l’usage exclusif d’un ministre. La perte de ces gazelles est un crime contre l’animalité qui ne devrait pas rester impuni car, pour moins que cela, des braconniers sont jugés et condamnés à de lourdes peines de prison», écrit Cheikh Saadbou Diarra dans le média en ligne atlanticactu.com.
Dans un long communiqué destiné à «apporter des éclaircissements sur cette affaire», le ministère de l’Environnement et du Développement durable ne répond pourtant à aucune des accusations le concernant. Les questions que se pose l’opinion – le nombre de gazelles mortes, les causes de ces décès, les conditions d’organisation du transfert de Ranérou à Bambilor, le choix du ministre d’accueillir ces bêtes dans sa réserve privée, la confusion entre biens privés et biens publics, etc.– n’y trouvent aucune réponse et l’absence de démenti formel pourrait confirmer la teneur des faits rapportés.
Un communiqué sans objet, des questions sans réponses
Abdou Karim Sall est-il en conflit d’intérêts? Il semble s’en défendre à demi-mot.
«L’élevage de la faune sauvage, au même titre que la foresterie, est une activité agricole au sens large. Par conséquent, elle peut être effectuée par n’importe quel citoyen qui en a les capacités et dans les conditions requises», peut-on lire dans ce communiqué fleuve de trois pages.
La publication se contente seulement de revenir longuement sur les conditions et les procédures permettant au secteur privé de s’impliquer dans la gestion de la faune sénégalaise.
Approché par Sputnik, l’imam Ahmadou Makhtar Kanté, environnementaliste, dénonce un «communiqué sans objet» et muet sur les véritables questions posées par ce transfert chaotique.
«Cette note du ministre est une esquive qui pèche par son silence éloquent sur le problème révélé. À coup sûr, elle ne restera pas dans les annales de la clarification annoncée au tout début du document comme étant le but de celui-ci. Il fallait juste reconnaître les faits, c’est-à-dire la mort de quelques gazelles oryx lors d’un transfert vers une ferme privée, puis annoncer une enquête administrative et indépendante sans délai. Mais apparemment, l’option choisie par le ministre ne semble pas privilégier la transparence.»
Pour Ahmadou Makhtar Kanté, le ministre «a sans doute raté l’occasion d’être le prophète Noé qui embarque des animaux dans l’arche pour les sauver du déluge. Osons espérer que cet épisode tragique n’annonce pas un autre déluge sur des animaux qui sont déjà si mal traités dans ce pays».
Le ministre de l’Environnement Abdou Karim Sall semble décidément résolu à empiler les casseroles sur son parcours. En septembre 2019, une pirogue surchargée et mise à l’eau alors que les conditions météorologiques n’étaient pas favorables, avait chaviré au large de l’île de La Madeleine (îlot Sarpan). Quatre personnes (pour 37 rescapées) avaient alors trouvé la mort. Une bonne partie de l’opinion l’avait considéré, à tort ou à raison, comme responsable moral du drame. Ce site touristique, qui fait face à la Corniche ouest de la capitale, est en effet sous la tutelle du ministère de l’Environnement.
Le Président Macky Sall avait débarqué sur les lieux pour constater les dégâts et promis à l’époque une enquête… dont on n’a plus entendu parler.