Pourquoi l’Iran ne réagit-il pas face aux attaques attribuées à Israël?

Une série d’explosions inexpliquées secoue l’Iran depuis quelques semaines. La plus importante a détruit un bâtiment du centre nucléaire iranien de Natanz. La responsabilité d’Israël est-elle engagée? Pour Sputnik, Thierry Coville, spécialiste de l’Iran à l’IRIS, analyse cette hypothèse et la prudence de Téhéran dans cette affaire.
Sputnik

Ce 6 juillet au soir a été le théâtre d’une nouvelle explosion en Iran. Cette fois, deux morts sont à déplorer dans une usine au sud de Téhéran, selon l’agence de presse iranienne IRNA, attribuant cet «accident» à une erreur humaine. Depuis quelques semaines, le pays est confronté à des explosions inexpliquées: celle d’un réservoir de gaz le 25 juin, de deux centrales électriques et d’une clinique le 30 juin et cette dernière à Natanz.

Le 2 juillet, un vague communiqué de l’Organisation iranienne de l’énergie atomique (OIEA) a annoncé un accident ayant endommagé l’«un des hangars en construction dans (l’enceinte) du site de Natanz», l’un des principaux centres du programme nucléaire iranien, situé à 220 km de Téhéran. Il s’agissait d’un «entrepôt sans matériel» radioactif et aucune victime n’est à déplorer, a ajouté à la télévision Behrouz Kamalvandi, le porte-parole de l’agence, dévoilant des images d’un bâtiment incendié.

Pourtant, le 5 juillet, le même personnage était interviewé par l’agence de presse IRNA, entretien durant lequel il reconnaissait «des dégâts importants sur le plan financier» sur le bâtiment endommagé, conçu pour produire à terme des «centrifugeuses avancées». Les images satellite sont assez parlantes sur la destruction du site.

​(Nos amis de @planetlabs ont pris un beau cliché montrant les dégâts au complexe d’assemblage de centrifugeuse de Natanz en Iran. Comme je dis souvent «Oui, cela laissera des traces.»)

Israël derrière ces attaques?

Le Conseil suprême de la sécurité nationale a déclaré le 3 juillet avoir établi précisément «les causes de l’accident», mais qu’il ne révélerait pas ses conclusions au public «avant le moment opportun», et ce pour des «raisons de sécurité». Une prudence iranienne qui interpelle devant l’accumulation de ces explosions inexpliquées. Doit-on y voir le résultat d’actions clandestines israéliennes?

Israël est à l’origine d’une attaque contre un site nucléaire iranien, assurent des sources du New York Times
Du côté hébreu, un analyste israélien affirmait le 1er juillet sur Twitter qu’Israël avait attaqué une usine d’enrichissement d’uranium en Iran. Ce qui n’a pas échappé à l’agence IRNA, qui a fait remarquer que «certains comptes du régime sioniste» avaient «immédiatement attribué l’accident à un sabotage israélien». Plusieurs sources du New York Times ont confirmé cette hypothèse, estimant qu’une puissante bombe avait été posée sur le site. Fidèle à son habitude, Tel-Aviv est resté ambigu par la voix de Benny Gantz, ministre de la Défense: «L’Iran veut (la bombe) nucléaire, nous ne pouvons pas le laisser y parvenir», mais «nous ne sommes pas nécessairement liés à tout événement qui se passe en Iran».

Contacté par Sputnik, Thierry Coville, spécialiste de l’Iran à l’IRIS, souhaite rester très prudent quant aux conclusions de l’enquête, n’ayant pas de «sources de première main». Pourtant, l’hypothèse de l’accident lui paraît «étonnante» et celle d’une «attaque dans l’idée de freiner le programme nucléaire iranien», beaucoup moins.

«L’objectif, c’est de mettre une énorme pression sur l’Iran, ajoutée à la pression économique maximale des États-Unis, pour que l’Iran comprenne et qu’il cède à la pression. Leur seule porte de sortie serait de négocier avec les États-Unis. Une autre hypothèse, c’est de pousser l’Iran à réagir. Une réaction de l’Iran contre Israël pourrait effectivement déclencher un conflit direct avec Israël.»

De son côté, BBC Persian a indiqué avoir reçu, «plusieurs heures avant» que ne sortent les premières nouvelles sur l’accident, un communiqué d’une organisation inconnue, les «Guépards de la Patrie», se présentant comme un groupe «de dissidents au sein de l’appareil sécuritaire iranien», revendiquant une «attaque contre le centre nucléaire de Natanz». Auteur de plusieurs ouvrages sur l’Iran, dont Iran: la révolution invisible (Éd. La Découverte) Thierry Coville reste très sceptique sur cette hypothèse: connaissant l’Iran de longue date, il relève que c’est «un pays assez bien contrôlé», a fortiori quand il s’agit de sites si stratégiques pour Téhéran.

Quelle réponse de l’Iran?

«De leurs déclarations [de l’Iran, ndlr], découlera une obligation d’agir», juge-t-il, justifiant le silence relatif des autorités: «ils ne veulent pas faire de vagues». Si la responsabilité israélienne était prouvée et dénoncée par le gouvernement modéré de Hassan Rohani, la communauté internationale s’attendrait à ce que les Iraniens «se vengent» et ils «auraient tout le monde contre eux». En témoigne la riposte millimétrée de Téhéran en janvier dernier face à l’assassinat du général Qassem Soleimani par les États-Unis. Vingt-deux missiles iraniens avaient frappé le 7 janvier deux bases irakiennes abritant des soldats américains, mais sans faire de victimes.

«Tous leurs calculs par rapport à la levée de l’embargo sur les armes en octobre 2020 et éventuellement un changement de politique américaine en novembre 2020 tomberaient à l’eau» si d’aventure les Iraniens ripostaient.

L’Iran compte élargir l’installation nucléaire gravement endommagée par un incendie à Natanz
La «stratégie attentiste» et prudente de l’Iran s’explique ainsi par ces deux échéances d’octobre et de novembre 2020. Primo, la résolution ayant entériné en 2015 l’accord sur le nucléaire iranien prévoit le 18 octobre prochain la levée de l’embargo sur les armes imposé à Téhéran. Chose que les États-Unis refusent. Washington demande en effet au Conseil de Sécurité une extension sans limites de cet embargo, alors que la Chine et la Russie ont d’ores et déjà fait savoir leur opposition à toute prolongation. Pour Thierry Coville, les Iraniens ont «des commandes d’armement qu’ils vont essayer de faire passer».

Deuxio, l’élection présidentielle américaine, qui confrontera Donald Trump au Démocrate Joe Biden. Ainsi, Téhéran parie-t-il sur l’élection probable de Joe Biden, «qui reviendrait sur l’accord sur le nucléaire». Pour les Iraniens «toujours très calculateurs», il serait donc plus important d’espérer une issue favorable lors de ces prochains mois que se lancer dans une escalade risquée.

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